Journal du confinement

Rozenn Le Bris : "l’Afrique doit se confiner pour ne pas couler"

La plage de La Marsa, à Tunis - Photo DR.

Rozenn Le Bris : "l’Afrique doit se confiner pour ne pas couler"

Vingt-quatrième épisode du Journal du confinement de Livres Hebdo, rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui, Rozenn Le Bris, attachée pour le livre à l’Institut Français de Tunisie.

Par Michel Puche,
Créé le 12.04.2020 à 13h01

« De l’autre côté de la Méditerranée, en Tunisie, le confinement est en vigueur depuis le 22 mars et le couvre-feu est instauré de 18 h à 6 h du matin. Nous, les biens logés, nous regardons la mer, nous entendons son ressac, nous respirons l’air sain de nos balcons et bientôt nous pourrons nous rafraîchir dans nos piscines privées…
Depuis quelques jours nous entendons les hélicoptères tourner, nous sortons le moins possible, nous imaginons des vies et nous sentons que le pays s’est arrêté, ou plutôt tente de s’arrêter… Tel un immense paquebot des temps modernes, l’arrêt se fait au ralenti et la machine réagit douloureusement.
 
Souvenez-vous, en 2011, c’est en Tunisie que les habitants de cette rive de la Méditerranée ont décidé de faire leur Révolution. C’est de cette partie du monde arabe que la parole libre a été acquise de haute lutte telle une arme fatale qui a renversé la destinée de ce pays et créé des séismes inégaux chez ses voisins… C’est ici que l’espoir a été le plus heureux, le plus collectif et sans doute le plus prometteur. C’est ici aussi, dans cette jeune démocratie, que se déroulent à présent des élections. Démocratie : un mot tellement facile à prononcer pour nous autres, les étrangers, Européens, que nous comprenons en retour l’urgence de ne pas en perdre l’usage… C’est ici, enfin, que l’on parle tunisien, français, arabe, anglais et que ces langues vivent en bonne intelligence, comme une évidence absolue qu’il n’est pas nécessaire de souligner.
 
« Une jeune génération d’artistes et d’écrivains »

La Révolution du jasmin, cette plante grimpante, discrète et à la fois envahissante, odorante et tanique, a aussi enfanté une jeune génération d’artistes, d’écrivains, de musiciens, de designer graphique, de « calligraphitistes », de créatifs, qui ont tous envahi les réseaux sociaux et particulièrement Facebook, pour dire leur monde et communiquer avec les mondes ! Ces femmes et ces hommes sont aujourd’hui plus que jamais les porte-voix d’une liberté de pensée de ce petit pays par sa taille, et tellement grand par sa destinée. C’est aussi cette même génération qui devient, malgré elle, le porte-drapeau d’un nouveau combat contre un virus au nom de code digne d’un mauvais polar…  Souvent sans statut, dans une précarité créative complexe, ils disent et écrivent que l’Afrique doit se confiner pour ne pas couler.
 
Se confiner pour résister… se confiner, se confiner… Ce mot fait presque rêver quand on le dit lentement. Dans un pays où plus de 40% de l’économie est faite de petits boulots, de taximen aux voitures « jaune NY », de vendeurs de chapatis (sandwich local), d’étalages à la sauvette de coques de téléphone, d’amandes fraîches, de boucles d’oreille et chichi en veux-tu en voilà…. Se confiner… Cette économie qui se relève tout juste de déflagrations meurtrières qui ont notamment touché Le Bardo, un des plus beaux fleurons muséaux du monde, et qui ont emporté des vies au nom d’une pensée peu clémente avec son prochain.

Croire aux valeurs de la francophonie
 
C'est dans ce paysage économique et avec une énergie jamais épuisée que des femmes et des hommes de lettres font naître et vivre non sans mal une chaîne du livre pour écrire et comprendre l’histoire, la dire, pour dessiner l’avenir, être en alerte sur le présent, tout en croyant aux valeurs de la francophonie comme une sœur jumelle que l’on ne laisse jamais tomber… Tels d’irréductibles Gaulois, ces écrivains, éditeurs, libraires, distributeurs, tentent de se fédérer, commencent à se faire connaître, porte le bilinguisme comme une richesse littéraire sans précédent. Il faudrait tous les nommer et dire combien ces héritiers du bourguibisme ont nourri et nourrissent encore la langue de Molière, les langues du monde !
 
Le Maghreb est pluriel. Dans quelques mois, son réveil sera douloureux, peut-être même plus qu’ailleurs. Mais n’est-il pas temps de profiter de ces moments d’ouverture, d’écoute, d’échanges humanistes, pour redessiner les contours d’une  "littérature monde" où le berceau de la francophonie, la Tunisie, serait une terre d’accueil ?

Et vous ? Racontez-nous comment vous vous adaptez, les difficultés que vous rencontrez et les solutions que vous inventez en écrivant à: confinement@livreshebdo.fr

 
 

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