Rosie a les joues roses et le regard rieur. Elle conserve quelque chose de son visage d'enfant. Elle aime d'ailleurs songer à cette petite fille, « studieuse et déterminée », qui jouait dans les collines boisées du Gloucestershire. « Pour moi, c'est le lieu de l'innocence. J'espère avoir gardé mon optimisme quant à l'état du monde ou la bonté humaine. » Vu son parcours, ce n'était pas gagné, mais l'écriture l'a sauvée. « J'ai toujours aimé raconter des histoires et me réfugier dans mon imaginaire. » Elle écrit un premier texte à huit ans, illustré par sa grand-mère. « Une maison d'édition l'a refusé, mais elle m'a poussée à poursuivre, persuadée que j'allais devenir célèbre », raconte-t-elle en souriant. Ses parents l'on aussi encouragée à suivre sa voie.

Un secret corrosif

A 18 ans, Rosie travaille pour mettre de l'argent de côté et effectuer un voyage en Australie. Elle s'oriente vers des études de littérature anglaise, avant d'être engagée comme assistante dans une agence littéraire. « J'ai vu à quel point un manuscrit pouvait se construire et évoluer au fil du temps. C'est si libérateur d'écrire, si excitant d'avoir un univers entier dans sa tête. » Tous les matins, elle couche ses idées sur le papier. Un jour, elle sent qu'il est temps de démissionner pour s'adonner entièrement à cette activité. D'autant qu'elle éprouve « le besoin de [se] réapproprier [son] histoire. »

Juste avant son entrée à l'université, la jeune fille de 19 ans subit un viol. Impossible d'en parler durant des années, tant elle est habitée par la honte : « Ce secret corrosif a fini par m'empoisonner. Je me suis sentie prisonnière de mon traumatisme », dit-elle. Elle traverse des crises de panique, des états dépressifs. « Mon avenir et ma confiance en autrui semblaient détruits. La violence implique l'intention de faire du mal. On croit souvent qu'elle n'est que physique, mais son aspect psychique est redoutable. » Meurtrie, Rosie constate que « cette possibilité de blesser l'autre a modifié [sa] vision du monde ».

Le mouvement MeToo lui semble salutaire, « il est important de parler », mais elle s'interroge : « Ce changement sera-t-il permanent ? La justice, la société et la littérature peuvent y contribuer. » Edouard St Aubyn, Elena Ferrante ou Edouard Louis l'ont inspirée. A son tour de composer « une héroïne miroir », Kate. Celle-ci est inséparable de Max. On ne peut pas imaginer plus éloignés que les milieux socioculturels dont sont issus ces deux étudiants mais l'amitié l'emporte. Fascinée, l'héroïne découvre une famille intellectuelle privilégiée. Jusqu'au jour où elle se retrouve prise au piège dans la maison des parents de son ami.

Le corps et l'âme de Kate portent les traces invisibles et nocives de cet épisode. « Le viol est inextricablement lié au pouvoir. De par sa peur néandertalienne, Kate se meurt de l'intérieur. Elle se scarifie pour libérer sa colère envers son corps qui l'a trahie. » Difficile de partager cela avec qui que soit, même pas avec Max, son frère de cœur. Rosie trouve « qu'il faut beaucoup de courage pour être soi. S'accepter tel qu'on est, avec ses douleurs, ses malheurs et ses failles. »

Rosie Price se sent « fière » de ce qu'elle a réussi à traverser : « Après cette sombre période, je veux à nouveau vivre, ressentir la joie, l'épanouissement et l'amour des autres. Il est dur d'avancer dans le monde quand on est une femme, mais j'espère que ce roman offre un peu de force et de dignité. »

Aujourd'hui, elle enseigne l'anglais et les maths à des enfants. Mais après ce premier roman, encensé par la presse anglaise et traduit en français par la romancière Jakuta Alikavazovic, l'écriture reste son projet principal.

Rosie Price
Le rouge n'est plus une couleur
Grasset
Tirage: 7 000 ex.
Prix: 24 euros, 416 p.
ISBN: 9782246820338

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