1er janvier & 13 janvier > Roman et Essai France

A 18 ans, elle est "entrée dans le mythe en même temps que dans la vie", raconte la narratrice de Perséphone 2014, le quatrième roman de Gwenaëlle Aubry, publié par le Mercure de France. Auparavant, en ouverture, la philosophe, auteure de Personne (prix Femina 2009) et de Partages (2012), rappelle l’une de "ces vieilles histoires folles limées par les siècles" : celle de la fille de Zeus et de Déméter qu’on appelait Coré, "la jeune fille", avant qu’Hadès, le dieu des Enfers, son oncle, ne l’enlève. Recherchée éperdument par sa mère qui affame les humains en représailles, elle deviendra, après l’arbitrage de Zeus, Perséphone, maîtresse d’Hadès, reine des morts, partageant sa vie entre la terre et les Enfers. Un culte aux rites secrets en hommage à Déméter et à sa fille a été rendu pendant mille deux cents ans à Eleusis, près d’Athènes. Là se termine le roman, une mère et sa fille adolescente parcourant les vestiges du lieu des "Mystères".

"Alors vient un jour où vous vous dites qu’il est temps de saisir ce qui vous a saisie", annonçaient les premières pages. C’est donc dans "l’anonymat du mythe" que la narratrice "crypte" sa propre histoire, dans les échos de la voix de Perséphone, sœur d’abîmes et d’abandon, compagne de passage entre les mondes, qu’elle retrace, encodée, sa propre jeunesse. Dans cinq chapitres intitulés "Ruine", le monologue de Perséphone, découpé en autant de moments contemporains (de 1989 à 1995), s’intercale entre les souvenirs à la deuxième personne d’une jeune fille qui court - "tu veux vivre à bout de souffle, en cavale l’âme à cru, tu as pour cela la réserve et l’élan". D’une fille tombée elle aussi, à sa façon, dans "l’instant-précipice", "raptée", une fille qui, plus que tout, "suit pas à pas une proie intérieure".

Proche d’un chant tragique, Perséphone2014 n’est pas un roman traditionnel. Pas plus que n’est un essai biographique classique sur Sylvia Plath Lazare mon amour, qui paraît simultanément chez L’Iconoclaste où ce texte avait été publié en janvier dernier dans l’ouvrage collectif L’une & l’autre. Les deux livres pistent les mêmes traces, sondent avec familiarité les oscillations intimes des mêmes figures féminines : des femmes d’excès, des créatrices, des amoureuses, scindées, oscillant entre le tout et le rien, le trop-plein et le vide, l’effroi et la jouissance, le solaire et le ténébreux, le dessous et la surface, l’élévation et la tentation de la "chute au fond du monde". Des femmes à double visage, entre deux eaux. Et on trouve surtout, centrale dans ces deux textes, la nécessité de donner une forme, unique, à ce balancement vital, de trouver "sa" forme. Pour la poétesse américaine comme pour l’écrivaine française, l’enjeu de l’écriture. Véronique Rossignol

 

 

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