Nul ne peut contester que Verlaine et, plus encore, Rimbaud furent d’immenses poètes. Cette évidence justifie-t-elle
une entrée, conjointe ou pas, au Panthéon ? Verlaine passe : après tout, il avait brigué l’Académie française et ne se retournerait sans doute pas dans sa tombe à l’annonce d’une telle nouvelle. Mais alors, pourquoi pas Mallarmé, Baudelaire ? Tout le Lagarde et Michard ? Quant à Rimbaud, lui qui n’a eu de cesse de se révolter contre les institutions avant de finir trafiquant d’armes et d’ivoire dans la corne de l’Afrique, qu’en penserait-il lui-même ? Et qu’en pensent les acteurs de Mai 68 restés cohérents avec eux-mêmes ?
On aurait pu croire que le Panthéon était réservé à des personnalités dont l’action avait illustré et défendu les valeurs de la République, comme Simone Veil ou Aimé Césaire. Mais le fait d’avoir subi l’opprobre de l’ordre moral pour s’être aimés quelque temps suffit-il à faire entrer Verlaine et Rimbaud dans cette catégorie ? Quant à l’étrange argument des «
sanglots longs des violons de l’automne » qui furent un message crypté pour le débarquement, il ravale les mérites de l’auteur des
Poèmes saturniens à un rôle purement mnémotechnique.
Joséphine Baker
Il serait étonnant que le Président de la République accède au désir des pétitionnaires fussent-ils ministre ou anciens ministres de la Culture. D’autres figures auront, espérons-le, cette chance. A commencer par Joséphine Baker, cette femme courageuse qui n’a cessé d’œuvrer concrètement, malgré les avanies et avec tout l’humour et la bonne humeur de son art, à la solidarité entre les êtres humains, par-delà la couleur de peau, les déterminismes communautaires et les nationalismes. Cette femme qui a rejoint la résistance de l’ombre pour lutter contre le nazisme.
A moins de considérer que sa seule finalité soit la mémoire du patrimoine culturel, l’entrée au Panthéon devrait toujours porter une signification politique pour le temps présent. Aujourd’hui, dans une société où la défense des grands principes républicains ne suffit plus, où l’expérience vécue de la différence a aussi valeur d’exemple, le défi est grand. Quelle personnalité distinguer qui ait témoigné, éventuellement avec génie, d’un tel vécu et qui, en même temps, ait décidé explicitement de le transcender en faveur du vivre ensemble ? Telle est la question que devraient peut-être se poser en ce moment les responsables politiques.