Le Tribunal de grande instance de Paris vient de rendre un jugement relatif notamment aux retards de la remise de plusieurs manuscrits. Précisons que l’éditeur était opposé à un directeur de collection cumulant aussi la fonction d’auteur pour certains des titres litigieux. Les juges se sont penchés sur les raisons des retards pour déterminer si le directeur de collection, intermédiaire dans la transmission des textes, avait ou non failli. Ils se sont en particulier déterminés en s’attardant sur le fait que les livres figurant au catalogue, même avec retard, aucun grief ne pouvait être formulé à l‘encontre dudit directeur… Il faut dire que les retards de remise de manuscrit sont appréciés en jurisprudence de façon très spécifique. La délivrance, dans les délais, du manuscrit commandé constitue l’une des obligations principales du contrat d'édition. À ce titre, l’article L.132-9 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), précise que l'auteur doit « remettre à l'éditeur, dans le délai prévu au contrat, l'objet de l'édition en une forme qui permette la fabrication normale. » Mais la jurisprudence a toujours considéré que les délais imposés à l'auteur relevaient d'une utopie non conforme avec les vicissitudes de la création. En clair, le délai de remise du manuscrit est rarement de rigueur, puisque la tolérance des juridictions couvre fréquemment un retard de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois. Les magistrats en appellent à la notion de « délais raisonnable s » comme aux usages de la profession... La Cour d'appel de Paris a pu ainsi juger, en 1996, que l'ancienneté des relations avec l'éditeur, les changements successifs de planning de sa part et l'absence d'envoi à l'auteur d'une mise en demeure étaient autant d'excuses au profit d'un écrivain en retard d'une année. De même, la grave maladie de l’auteur, la survenance de faits inattendus qui modifient le traitement du sujet du livre sont encore des raisons qui plaident en faveur d'une sorte d'impunité des retards. En l'absence de précisions contractuelles, les juridictions ne sanctionnent véritablement que les dépassements des seuls auteurs de livres dits « d'actualité » : biographie succincte d'une personnalité récemment décédée, document sur un événement qui a fait la une ou le buzz sur la toile... L'éditeur aura donc tout intérêt à préciser au contrat que le délai de remise de la copie est une condition essentielle et déterminante de sa conclusion. Si possible, il visera expressément la raison qui rend crucial le respect du calendrier : commémoration importante, saisonnalité des ventes d’un guide de voyage ou d'annales du baccalauréat, nouveau millésime d'un classique attendu pour les fêtes, etc. En revanche, l’article L. 132-11 du CPI précise qu’ « à défaut de convention spéciale, l'éditeur doit réaliser l'édition dans un délai fixé par les usages de la profession ». La Cour d'appel de Paris a estimé, en 1983, qu'en l'absence de stipulations contractuelles à ce sujet, un délai de huit mois pour la commercialisation d'un roman est conforme aux usages de la profession. Mais l'éditeur reste toujours maître de la date exacte de sortie en librairie, si elle intervient avant la date butoir fixée au contrat. Là encore, les juges ont recours à la notion d’actualité, dont l'obsolescence peut être rapide, pour estimer que les retards habituels ne peuvent être admis. De même, un romancier qui espère un prix littéraire peut agir à l'encontre de son éditeur qui lui a fait manquer la participation à la course. Et l’article L. 132-17 du CPI dispose encore que, toujours en l'absence de précisions au contrat, « la résiliation a lieu de plein droit lorsque, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, l’éditeur n’a pas procédé à la publication de l’œuvre ». Les risques de procès - par exemple pour diffamation ou atteinte à la vie privée - peuvent parfois justifier le refus de publication ou à tout le moins des atermoiements. C'est aussi le cas lorsque l'éditeur subit un conflit entre deux coauteurs. Mais la Cour d'appel de Paris a jugé, en 1987, que l’éditeur ne peut annuler la publication en raison de l'absence de subventions. Un auteur qui a conclu pour une publication en plusieurs volumes peut faire condamner son éditeur qui décide seul d’arrêter celle-ci après l’échec du premier volume. Enfin, même à défaut d'un contrat d’édition en bonne et due forme, l’éditeur pourra être sanctionné s’il entretient, chez l'auteur, pendant plusieurs années, l'illusion qu'il va le publier. Selon un récent rapport, les relations auteurs/éditeurs se dégradent. La justice ne contribue guère à les améliorer !