Urbain est ce qui tient de la ville, lui appartient. Urbain s'oppose à rustique, implique des principes de civilité, suppose l'acceptation de règles communes qui régissent le vivre-ensemble, une loi qui s'impose à tous et une autorité qui l'applique. L'urbanisme met en espace des politiques publiques afin de fluidifier le trafic, favoriser les échanges économiques, répartir l'occupation des sols par les citoyens.
Les bâtiments croissent, les avenues percent, le réseau routier s'étale. La ville s'emballe, c'est l'entropie. Urbain trop urbain ! L'ordre urbanistique est fasciste. Accepter un plan, c'est accepter qu'on vous trace un chemin, qu'on vous dicte où aller et venir, comment agir, comment penser. Dans le nouveau roman d'Olivia Rosenthal, Eloge des bâtards, un groupe résiste. Ils s'appellent Fox, Macha, Oscar, Full, Sturm, Clarisse, Gell, Filasse, Lily. Cette dernière, la narratrice, est dotée d'extralucidité empathique : elle ne peut s'empêcher en observant la foule de se glisser dans la peau des individus, comme un écrivain. Il s'agit de pseudonymes, chacun ignore l'identité de l'autre, ils ignorent leur propre identité, sont tous peu ou prou illégitimes, orphelins, métèques. Déjouant la milice aux aguets, dans la métropole dystopique ultra-quadrillée, ils se réunissent chez les uns et les autres et se racontent leurs parcours : « Ça faisait une drôle d'impression, on avait des vies flottantes et ectoplasmiques qui se cristallisaient la nuit autour de nos discussions. Quelque chose était en train de naître et de nous lier. »
Olivia Rosenthal, seiziémiste de formation, adopte le protocole de l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, sept journées où chaque « devisant » livre son histoire. Ici ce sont cinq nuits, cinq récits. Il faut empêcher l'expansion du chantier Charles-de-Gaulle. A l'issue de la réunion, le groupuscule anarchiste établit une liste de missions. On est plus proche des performances artistiques du mouvement Fluxus que des attentats d'Action directe : faire pleuvoir des plumes du haut des tours, entrer par effraction à la Banque mondiale pour distribuer des peluches à tous les employés... L'idée est de « saturer la ville de signes invisibles ».
AvecEloge des bâtards,Olivia Rosenthal fait un retour à la pure fiction mais ne quitte pas pour autant son acuité critique. L'herbe pousse dans les lézardes du béton-la poésie comme résistance des interstices. La narration, c'est le contraire du big data. Dans le monde du tout info, deviser, échanger devient politique.
Eloge des bâtards
Verticales
Tirage: NC
Prix: 20 euros ; 336 p.
ISBN: 9782072854378