Bruno Sulak, descendant d’immigrés polonais, fils de Marcelle et de Stanislas, légionnaire en Afrique du Nord, est né à Sidi Bel Abbès, Algérie, en 1955. Sous une mauvaise étoile, apparemment. Puisqu’il finira sa courte vie le 29 mars 1985, à la Pitié-Salpêtrière où il avait été transporté dix jours auparavant suite à un « accident » survenu lors de sa tentative d’évasion (une de plus) de la prison de Fleury-Mérogis. Ça, c’est la version officielle, à laquelle ne crurent ni la presse de gauche de l’époque (dont Libération, vent debout, qui en fit un martyr), ni ses codétenus, lesquels, fait rare, signeront, peu après, un appel, où ils accusent les « matons », un en particulier, d’avoir tué Sulak, « lapidé de coups ». Ni la famille bien sûr. L’une des sœurs cadettes de Bruno, Pauline Belmihoub, née Sulak, a publié pas moins de deux livres sur son frère, en forme de réquisitoire : l’un paru aux éditions Carrère, à chaud, dès 1985, et préfacé par le commissaire Georges Moréas, ex-patron de l’OCPRB, qui avait passé des années à pourchasser Sulak, et avait fini par éprouver pour lui de l’estime et même une sorte d’amitié ; l’autre, Bruno Sulak, l’ami public numéro 1, paru chez Mélanges en 2007. C’est à partir de ces ouvrages, des témoignages des survivants et d’une enquête méticuleuse que Philippe Jaenada s’est lancé dans ce biopic romanesque, touffu, ramifié, et destiné à emporter la conviction du lecteur que Sulak a été tabassé à mort.
Sulak était un voyou, de ceux qui, depuis toujours, fascinent l’opinion et les artistes : Mandrin, Billy the Kid, Bonnie and Clyde, la bande à Bonnot, ou, plus près de nous, Mesrine ou Roberto Succo. Mais contrairement à eux, Sulak n’a jamais tué personne. C’était une sorte de « bandit d’honneur », brillant, fascinant, un garçon beau et intelligent (qui fera de brillantes études et se mettra à écrire en prison, comme d’autres), victime de ses mauvaises fréquentations, et aussi de la fatalité. Alors que, comme papa en son temps, il était prêt à rempiler dans la Légion étrangère, basée à Calvi, avec laquelle il s’était illustré à Djibouti, en Somalie, et dans le saut en parachute, sa spécialité, une permission prise sans autorisation pour rendre visite à sa famille, à Marseille, fait tout basculer. Lorsqu’il veut revenir à la caserne, Sulak apprend que son régiment est parti en mission, sauter sur Kolwezi ! Le voici considéré comme déserteur, recherché, arrêté, emprisonné. C’est le début de la longue dérive d’un hors-la-loi, chef d’une bande de fidèles, dont Novika (alias Steve) et Drago, deux « Yougos » serbes redoutables.
En totale empathie, Philippe Jaenada s’est approprié son sujet, et octroyé un certain nombre de libertés. Souvent, il prend la parole, digresse et feint de s’en excuser, alors qu’on adore ça : « (ce n’est pas votre problème, bien sûr, mais si je peux m’autoriser une petite jérémiade (il est 4 h 40 du matin, j’ai la gueule de bois depuis deux jours, j’ai fumé un paquet de cigarettes depuis le début de la nuit […]), raconter la vie de Bruno Sulak, ce n’est pas commode) ». Ce qu’on préfère presque, dans ce livre, ce sont les parenthèses, comme de savoureuses didascalies.
J.-C. P.