Représentation

Représentation : zizanie chez les auteurs

« Enterrement du livre de demain ». Manifestation des auteurs sous les fenêtres du ministère de la Culture, dans les jardins du Palais Royal en juillet 2018. - Photo Olivier Dion

Représentation : zizanie chez les auteurs

Les espoirs soulevés chez les auteurs par le rapport Racine ont précipité une crise parmi les nombreuses organisations qui se disputent leur représentation. La légitimité des plus anciennes se trouve contestée par une nouvelle génération plus précaire qui s'estime mal considérée. _ par Hervé Hugueny

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Créé le 20.03.2020 à 17h25

Pendant les prochaines semaines, le complet bouleversement imposé par le confinement de tous et l'arrêt de toute vie sociale ou culturelle collective vont faire passer au second plan les polémiques concernant la représentativité des organisations d'auteurs. Mais les problèmes à l'origine du départ, le 25 février, de la jeune Ligue des auteurs professionnels et de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse du Conseil permanent des écrivains (CPE) n'en seront pas résolus pour autant. Autre signe de cette crise de la représentation des auteurs, le départ forcé de Mathieu Simonet de la présidence de la Société des gens de lettres (SGDL), à la suite d'un vote de défiance de son comité, le 10 mars, révèle un niveau de tension jusqu'alors inconnu au sein de la plus importante et de la plus structurée des associations d'auteurs, située à l'hôtel de Massa, dans le 14e arrondissement de Paris.

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Simplement mis en pause, l'enjeu des suites à donner au rapport Racine devrait resurgir intact à en juger par l'énergie et la détermination manifestées par la nouvelle génération d'auteurs mûris ces dernières années aux Etats généraux de la Bande dessinée ou à La Charte des auteurs jeunesse, qui se retrouvent à la Ligue. Lors du dernier week-end de liberté précédent le black-out sanitaire imposé par la lutte contre le coronavirus, la Ligue présidée par Samantha Bailly, tout récemment réélue, coordonnait au Labo de l'édition, à Paris, un « hackhaton » entre auteurs, avocats et juristes professionnels. Ce marathon de réflexion étalé sur 24 heures a produit plusieurs pistes de transformation du contrat d'édition, de réorganisation de la représentation des auteurs et de solutions pour lutter contre la sous-utilisation de leurs droits sociaux.

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Un nécessaire consensus

Autant de dossiers concrets à discuter lors de la révision de l'accord signé en 2013 sur le nouveau contrat d'édition à l'ère numérique, qui devait commencer dans les prochains jours sous l'égide du ministère de la Culture. La représentation des auteurs sera bien différente de l'unité affichée au début de la décennie 2010. La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse a quitté le CPE, comme la Ligue, créée en septembre 2018, qui n'aura finalement que brièvement rejoint cette fédération « un peu polymorphe, mouvante, dont la physionomie change avec le temps », selon Bessora, sa présidente depuis septembre 2019.

Les adhérents du Conseil permanent des écrivains ne sont pas des individus mais 16 associations, sociétés, syndicats d'auteurs et organismes de gestion collective. Ils délèguent leurs représentants, élus et/ou salariés pour ceux qui en disposent, et en assurent le budget, très modeste à 6 000 euros, via leurs cotisations. Si l'expression de tous est libre lors des réunions mensuelles et des discussions intermédiaires, le consensus doit réguler les décisions. Cela peut prendre du temps, même si le noyau vraiment actif de ses membres se concentre autour du SNAC, de la SGDL, de la SCAM, de la SAIF et de l'ATLF (cf. infographie). « Le CPE travaille et ne communique pas sur tout ce qu'il entreprend, il reste un peu dans l'ombre ça peut paraître suspect, laisser penser qu'on ne fait rien », déplore Bessora. Alors que « nous réglons de nombreux problèmes particuliers au service des auteurs, mais ces négociations ne se tiennent pas sur la place publique », observe Marc-Antoine Boidin, vice-président du SNAC, chargé du groupe BD.

Créé en 1979 pour préparer la loi sur le prix du livre, le CPE s'est réactivé à la fin des années 2000 lorsqu'un premier round de négociation entre la seule Société des gens de lettres (SGDL) et le Syndicat national de l'édition (SNE) à propos de l'édition numérique avait échoué. Les discussions ont abouti en mars 2013 à la signature avec le SNE de l'accord-cadre relatif « au contrat d'édition à l'ère numérique ». Présenté comme exemplaire d'une nouvelle ère de dialogue constructif et efficace, ce résultat devait beaucoup à l'intervention d'Aurélie Filippetti, ministre de la Culture en 2012, qui avait dû admonester le SNE pour débloquer une négociation que le CPE ne pouvait maîtriser seul.

Porté par la volonté de dialogue de Vincent Montagne, président du SNE à partir de 2012, et de Marie Sellier, présidente de la Charte, du CPE puis de la SGDL, cet accord a quand même été suivi d'une série d'autres compromis, jusqu'au blocage sur le partage de la valeur et la revendication de 10 % de droits d'auteur minimum, au cœur de la deuxième session des Etats-généraux du livre, organisés le 4 juin 2019 par le CPE. Les appels de Marie Sellier à ouvrir un nouveau cycle de discussion sur le sujet n'ont pas été entendus par les éditeurs, et l'agenda de projets de réunions CPE/SNE s'est enlisé.

« Nous alertons depuis longtemps sur la dégradation de la situation des auteurs, mais on ne nous écoute pas. Est-ce qu'il y a un problème de représentation, ou de surdité ? », s'interroge Emmanuel de Rengervé, délégué général du Syndicat national des auteurs et compositeurs, qui héberge le CPE à son siège, rue Taitbout dans le 9e arrondissement. « Les auteurs ne sont pas mal représentés, ils sont mal entendus », tranche Bessora, en réponse au rapport Racine qui attribue ce déficit de dialogue social à la faiblesse et à l'insuffisance de leur représentation. Qu'il soit imputé aux pouvoirs publics (affaires de la retraite complémentaire, compensation de la CSG, modalités de transfert à l'Urssaf) ou du SNE (niveau des droits), le manque de considération ressenti par une partie des auteurs a nourri l'impatience à l'égard d'un style de négociation feutré reposant sur l'argumentation juridique et le lobbying auprès des parlementaires et du ministère de la Culture.

Parole publique

« On nous reproche de ne pas être assez pushy, mais on fait le boulot, quand même », s'insurge Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédia (SCAM), un puissant organisme de gestion collective (OGC), élément actif du CPE.  Mais « cette stratégie a montré ses limites, notamment à propos des discussions attendues sur le partage de la valeur. La nouvelle génération souhaite des actions plus offensives », analyse Benoît Peeters. Scénariste de la série BD Les cités obscures, écrivain, essayiste, biographe, cofondateur et président des Etats généraux de la bande dessinée, il est très investi dans la vie collective du secteur, et a adhéré dès sa création à la Ligue, où il est naturellement devenu un référent.

Egalement président de la commission des auteurs de l'écrit de la SCAM, Benoît Peeters trace la limite du rôle des OGC, acceptés au CPE mais vivement contestés par le mouvement qui s'en est écarté. « Pour collecter les droits collectifs qu'elle répartit entre ses adhérents, une OGC doit être aussi bien structurée que les groupes avec lesquels elle négocie, elle a besoin de cadres et de techniciens qui ne sont pas des auteurs, mais cette nécessité l'éloigne du terrain. Il faut donc des syndicats, qui sont par nature plus proches des réalités sociales », estime le biographe d'Hergé.

« Notre objectif est bien de devenir un syndicat, sur le modèle d'une organisation puissante telle l'Authors Guild aux Etats-Unis. etre syndicat est une condition pour se présenter à des élections professionnelles en France », confirme Samantha Bailly, qui a su convaincre plusieurs auteurs de best sellers, habituellement indifférents à l'action collective, de rejoindre la Ligue. « Nous avons été capables de mobiliser 3 500 artistes-auteurs en quelques jours pour exiger la publication du rapport Racine », rappelle-t-elle.

Alors que le CPE obtenait encore des résultats dans la concertation, d'autres actions basées sur la prise de parole publique et l'usage des réseaux sociaux ont émergé, avec un succès grandissant. Ces actions ont d'abord visé les pouvoirs publics et le ministère de la Culture, dans un mélange d'humour et d'amertume, puis le SNE, notamment avec la campagne #PayeTonAuteur lors de Livre Paris 2018, menée avec le SNAC, qui n'avait pas encore pris ses distances.

Tout s'est tendu avec le rapport Racine, qui a soulevé chez les auteurs un vif espoir, contrarié ensuite par les mesures annoncées par le ministre de la Culture, Franck Riester. La suite à donner à la mission cristallise une fracture qui distingue des organisations rompues à la négociation et trop conscientes du rapport de force, de celles dont l'énergie nouvelle n'est pas entravée par l'expérience des possibles. « Après le rapport, c'est le plan d'action du ministre qui sert de base de discussion », note Bessora, alors que la Ligue et la Charte veulent tenir pour acquises les 23 recommandations de la mission et les mettre en œuvre sans tarder. Avec la Guilde des scénaristes, où se retrouvent aussi de nombreux auteurs, et le Comité des Artistes-Auteurs Plasticiens (CAAP), maintenant élargi à l'ensemble des auteurs et dont l'expertise juridique et sociale est reconnue, ces organisations constituent le noyau d'un groupement transversal bien décidé à transformer la condition des créateurs. 

« Il faut des élections »

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Directrice de l'Institut des sciences du travail de l'ouest, à Rennes, Stéphanie Le Cam est également enseignante et chercheuse en droit de la propriété intellectuelle et droit du travail. Sa thèse sur L'auteur professionnel, entre droit d'auteur et droit social (LexisNexis, 2014) a retenu l'attention de Bruno Racine, qui l'a invitée à se joindre aux travaux de sa mission.

Livres Hebdo : Comment interprétez-vous l'émergence d'un pôle plus revendicatif parmi les organisations d'artistes-auteurs ?

Stéphanie Le Cam : C'est un phénomène de génération dû à la précarisation sans précédent de l'activité d'auteur, qui entraîne le regroupement de gens unis par une nécessité ressentie de contestation sociale. Les organisations existantes de représentation des auteurs constatent aussi cette précarité grandissante, mais ne trouvent apparemment pas de solution pour changer les choses.

Qu'est-ce qui a distingué ces organisations lors de leurs entretiens avec la mission Racine ?

S.L.C. : Les représentants de la Ligue des auteurs professionnels, de la Charte des auteurs jeunesse et de la Guilde des scénaristes ou le Comité pluridisciplinaires des artistes-auteurs nous ont impressionnés par la qualité de leur préparation : ils sont arrivés avec une documentation abondante, exposant les problèmes et proposant des solutions. Les autres organisations sont bien conscientes des problèmes auxquels les auteurs sont confrontés, mais ils comptent d'abord sur le soutien des pouvoirs publics, notamment face aux grandes entreprises des nouvelles technologies, jugées responsables des plus graves menaces.

La contestation de la représentativité des organisations de gestion collective (OGC) vous semble-t-elle justifiée ?

S.L.C. : Les OGC ont un rôle évident dans la perception et la gestion des droits, mais ce ne sont peut-être pas les acteurs à interroger sur les questions sociales et professionnelles qui préoccupent les auteurs. Il faut savoir qu'elles catégorisent leurs membres en fonction du montant des droits qu'ils reçoivent, notamment à la SACD et la Sacem, où le nombre de voix dépend du volume des droits, et où les fonctions d'administrateur sont réservées aux auteurs justifiant d'un minimum de perception assez important. Ces critères de représentation ne sont pas neutres, alors que ces OGC sont représentées au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, que le ministre va consulter notamment à propos du contrat de commande. Dans un syndicat, tous les adhérents sont au même niveau.

Que pensez-vous de la revendication d'élections ?

S.L.C. : Il faut organiser des élections, c'est une nécessité, pour trancher cette question de la représentation des différentes organisations qui parlent au nom des auteurs, et des objectifs qu'elles défendent. Il est regrettable que le ministre ait annoncé qu'elles seraient organisées fin 2021 alors que des sujets importants seront débattus dans les prochaines semaines ou mois. Il serait possible de les préparer pour la fin de l'année en cours, en retenant sur la liste des électeurs les auteurs qui ont perçu au moins pendant une année au cours des quatre dernières écoulées la valeur de 900 SMIC horaires, ainsi que le préconise le rapport Racine.

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