La France compte une librairie pour 30 000 habitants. À Rennes, c’est une pour 10 000. Une moyenne portée par l’ouverture de neuf nouvelles enseignes en cinq ans, « alors que l’on sent une contraction du marché du livre », pointe Marie-Cécile Grimault, chargée de l'économie du livre à l’agence Livre et lecture en Bretagne. Néanmoins, « ces nouvelles librairies proposent une offre complémentaire au réseau existant ». Au total, la capitale bretonne recense aujourd'hui 23 librairies.
Les historiques : voyage, jeunesse et… BD manga
Le réseau historique se caractérise par des librairies spécialisées. Ariane est une librairie de voyage. Encre de Bretagne propose une offre régionaliste. La Rose mystique des livres de spiritualité. La Courte échelle est la seule librairie 100 % jeunesse de la ville… Et plusieurs commerces se partagent la BD. Ty Bull, M’Enfin ?! (1,2 million de CA en 2024) ou encore Critic, qui fête ses 25 ans et développe le roman polar ou imaginaire, comme le propose la maison d’édition liée. En 2022, son fondateur Éric Marcelin investit dans le manga, à quelques pas de son enseigne. Genre bien représenté par Japanim, dont la seconde enseigne a déménagé en 2023 dans 300 m2.

Nouvelles librairies : s'insérer dans des créneaux
A ce réseau historique sont venus s'ajouter de nouveaux profils de librairies depuis la fin années 2000 et jusqu'au début des années 2020. Une période au cours de laquelle « se sont créées des librairies généralistes, mais avec une couleur, une envie de défendre de certaines valeurs. Elles ont des spécificités plutôt qu’une spécialité », retrace Marie-Cécile Grimault.
La généraliste Nuit des temps (2017) est ainsi portée par les questions LGBTQI+. Comment dire (2022), fait autorité en littérature et sciences sociales, conformément aux compétences de sa gérante Aliénor Mauvignier. La librairie Nilmë (2022) est la seule de la ville à proposer un espace café, et se distingue par ses romans queer, LGBT, boy’s love. The Little bookshop (2024) complète l’historique Greenwich en VO. Et la librairie Jean Calvin (2021) renforce la religieuse La Procure.

La Livrerie des Jacobins (2021) est un autre spécialiste de bande dessinée : « Il y a 6 000 nouvelles BD par an, donc la sélection est le reflet du libraire, et les gens apprécient de ne pas avoir trop de choix », estime le gérant Grégory Duval. Quelque 3 000 références tout de même. Et des bières.
De là à en vivre ? « Il y a pas mal de concurrence à Rennes, mais j’avais envie d’y vivre. Et la concurrence, ça n’est pas si mal : ça veut dire qu’il y a des lecteurs. On ne se tire pas dans les pattes », sourit celui qui prend peu de vacances… Mais est propriétaire de son local. « Ça fait la différence. Mais j’aurais été dans une rue passante, je n’aurais pas pu l’acheter ». Quitte ou double.
Seulement trois librairies de quartier
Restent les librairies de quartier. La Rencontre (2022) à l’Est, les coopératives L’Etabli des mots (2021) et l’Astrolabe (2022, issue des éditions Argyll, spécialisées dans l’imaginaire) au Nord et au Sud, et depuis avril la librairie associative des étudiants en master Métiers du livre et de l’édition de l’Université Rennes 2.
Le Failler, loin devant
Quant à Le Failler, qui fête ses 100 ans, elle se hisse à la 11e place du classement des librairies françaises en termes de chiffre d’affaires (8,9 millions d’euros en 2024). Elle emploie 47 personnes en équivalent temps plein, peut-être davantage d'ici fin 2025. Un développement qui suit les tendances citées plus haut : ouverture d’une antenne bien-être en 2023, puis une autre en beaux-arts, renforcement de la BD, de la romance, de la littérature en VO et du manga… Avec un objectif de 100 000 titres en rayon d’ici la fin de l’année (contre 88 000 aujourd’hui). Son seul concurrent, dixit le gérant Dominique Fredj : Amazon.
Entre difficultés et renaissances
D’autres établissements ont néanmoins périclité, comme la Nef des fous (BD), fermée pour des raisons économiques en 2024 après huit ans d’activité. La librairie Pécari Amphibi a quant à elle dû rendre le local à son propriétaire. La librairie Alphagraph, touchée par des dégâts des eaux et de mauvais chiffres, a été remplacée dix ans après sa fermeture par La Livrerie des Jacobins. Le libraire Jérôme Saliou, est aujourd’hui à la Nuit des temps. Le Forum du Livre, placé en redressement judiciaire en 2024, en raison notamment de la hausse du loyer, a été repris par Socultur, propriétaire de Cultura.
Reste-t-il de la place ? « Les futurs libraires, je les invite à travailler sur une reprise. Et s’ils veulent créer leur librairie, je leur suggère d’attendre et d’observer », conseille Marie-Cécile Grimault. En tout cas, la libraire de Planète Io, Bernadette Vallée-Seigneur, leur ouvre ses bras : « L’ensemble des libraires sont nos camarades ».