7 janvier > Roman Etats-Unis

C’est toujours émouvant de lire les premiers textes d’une écrivaine célébrée dans le monde entier. Loin de ressembler à des balbutiements, le deuxième roman de Louise Erdrich confirme déjà tout son talent. Publié en 1986 aux Etats-Unis, il paraît une première fois en France il y a presque trente ans et passe alors quasi inaperçu. Francis Geffard le ressort dans sa prestigieuse collection "Terres d’Amérique". On plonge dans les profondeurs du pays avec ce livre signé par la lauréate du National Book Award, également à la tête d’une librairie indépendante, Birchbark Books, birchbark désignant l’écorce de bouleau, qui sert à fabriquer les livres. Philip Roth la compare à Faulkner, mais on peut aussi y voir des touches de Steinbeck ou de Dickens. On sent que son encre, si romanesque, s’est frottée à la poésie et à la littérature de jeunesse, tant elle s’enrichit de descriptions vivaces de paysages et de personnages.

Nous sommes en 1932, dans le petit village d’Argus. C’est là que débarquent deux bambins paumés. Ils ont été abandonnés par leur mère célibataire de façon rocambolesque. Une répercussion de la Grande Dépression et de la pauvreté ambiante ? Mary est adoptée par sa tante et les siens, mais Karl préfère se dérober à cette réalité. Cet éternel vagabond ne pourra jamais se poser. "Même dans sa tempête de larmes, il n’avait pas touché le fond de sa perte." Tour à tour, ces protagonistes, pleins de maladresse et de tendresse, prennent la parole aux côtés de Sita, leur cousine obsédée par la beauté, ou de Celestine, la meilleure copine indienne.

La famille, thème récurrent de l’œuvre d’Erdrich, apparaît ici éclatée. Tels des lambeaux déchirés, ses membres tentent de s’agripper les uns aux autres. La vie les malmène, mais ils se bagarrent pour rebondir. Mary et Karl restent pourtant ces enfants abandonnés qui ont dû grandir autrement. On les voit devenir adultes, découvrir que l’existence ne correspond pas aux "romans à l’eau de rose". Ces battants sont bien obligés de survivre, mais ils se montrent parfois impitoyables avec eux-mêmes. Résolument touchants, ils nous donnent envie de les sauver, par moments. "Je savais que ma vie n’aurait rien d’un tunnel d’amour trouant les ténèbres. Je ne choisis pas la solitude. Qui donc la choisirait ? Elle me vint comme une sorte de vocation."

L’auteure ne manque ni d’humour, ni de saveur, ni de violence ou de lucidité pour décrire ces rendez-vous manqués avec les autres, soi-même ou l’existence. Une fois qu’on plonge dans cette aventure intense, on oublie le monde environnant tant ses héros se révèlent émouvants et prenants.

Kerenn Elkaïm

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