30 AOÛT - ESSAI France

Prenez un nom, ce qu'il y a de plus commun. Traitez-le sous tous les angles possibles : historique, anthropologique, psychanalytique, symbolique, religieux, etc. Sondez les bibliothèques, épuisez vos lectures, ressassez vos voyages et allez le plus loin possible dans toutes ces directions. Si vous avez le talent de Pascal Dibie, vous obtiendrez un livre sensationnel à partir d'un mot familier : la porte.

Pascal Dibie- Photo DR/MÉTAILIÉ

Le pari n'était pas évident, mais il avait déjà entrepris cette démarche faite de sérieux et d'humour dans Ethnologie de la chambre à coucher (Grasset, 1987). Son Ethnologie de la porte aurait pu s'apparenter à un simple exercice intellectuel. Ce n'est pas le cas. L'auteur, né en 1949, enseignant-chercheur à l'université Paris-Diderot, déjà remarqué pour sa Passion du regard (Métailié, 1998), s'effacerait plutôt derrière son objet d'étude qui l'entraîne à toutes les époques et sous toutes les latitudes.

Dans un style peu fréquent dans les sciences humaines, il se contente d'en montrer l'universalité, ne serait-ce que par ce qu'il évoque en chacun de nous lorsqu'on commence à faire la liste des expressions où le mot "porte" apparaît : prendre la porte, mettre à la porte, la porte de l'enfer, la septième porte, aimable comme une porte de prison, etc. L'ethnologue - comme Musset - nous rappelle qu'une porte doit être ouverte ou fermée. Elle est ce qui fait passer, mais aussi ce qui sépare : le public du privé, le légal de l'illégal, la vie de la mort, le dicible de l'indicible. C'est donc une "une histoire d'ouverture, de fermeture, d'attente, de crainte, de patience, de passages mais aussi et surtout une longue histoire technique" qui est ici brillamment racontée, avec beaucoup d'exemples et quelques coups de sonde en Afrique, en Asie ou aux Amériques.

Au fil du temps, la porte apparaît comme un élément déterminant dans la construction de notre rapport à l'autre. Les marginaux ont toujours été relégués aux portes des villes. Selon les civilisations, les portes sont plus ou moins hautes, avec la volonté d'impressionner ou de laisser entrevoir, comme celles en papier au Japon. Autour de cet objet quotidien, nous avons façonné notre imaginaire, en multipliant les expériences de seuil pour savoir si nous les franchissons ou pas.

Tout ceci pour arriver à notre monde actuel et virtuel où le dedans finit par se confondre avec le dehors. "Un nouvel ordre urbain sans entrées, sans sorties, sans seuils, sans limites, sans sacré, sans rituels, ouvre un monde non repérable, une sorte de nappe urbaine sous laquelle ou plutôt sur laquelle nous ne savons plus si nous sommes les convives ou les victimes de ces agents invisibles de la coalescence mégapolitaine."

Avec ce livre savoureux dédié "à tous les entrouvreurs, les pousseurs, les écarteurs de portes, à ceux qui y piétinent, y espèrent, y attendent encore", Pascal Dibie nous fait entrer dans l'histoire. Par la grande porte...

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