Bibliothèques

Prêt numérique : épisode 2, le réveil de la force

Olivier Dion

Prêt numérique : épisode 2, le réveil de la force

Avec depuis le 15 janvier plus de 100 000 titres à son catalogue, Prêt numérique en bibliothèque (PNB) atteint enfin une taille critique. Un an et demi après son lancement en septembre 2014, Livres Hebdo dresse un premier bilan concret de ce dispositif controversé.

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 05.02.2016 à 01h00 ,
Mis à jour le 05.02.2016 à 09h52

Il fait couler beaucoup d’encre depuis son lancement en septembre 2014, mais quels sont concrètement les résultats de fonctionnement de PNB, Prêt numérique en bibliothèque, dispositif né de la volonté de l’interprofession ? Eléments de réponse en six points.

1. Où en est le catalogue ?

Depuis le 15 janvier 2016, le catalogue est passé de 13 000 à 104 000 titres, grâce à l’apport annoncé en novembre dernier de Numilog, Izneo, Immatériel, FeniXX et Hachette Livre. "A périmètre égal, cela représente 60 % de l’offre numérique pour les particuliers", affirme Véronique Backert, directrice générale de Dilicom, l’opérateur technique de PNB.

Ce bond spectaculaire permet enfin de répondre à l’une des principales réclamations des bibliothèques. "L’offre commence à être de bonne qualité, juge Guillaume Hatt, responsable du service informatique des bibliothèques municipales de Grenoble. Mais il existe des disparités. On aimerait que la mise à jour quotidienne des catalogues devienne la règle pour tous les éditeurs. Certains n’ont fait qu’un versement ou deux depuis le démarrage de PNB."

 

2. Quelle est l’offre des bibliothèques ?

Elle reste dans l’ensemble relativement modeste. Le réseau de Montpellier Méditerranée Métropole propose 1 000 titres, même chose à Grenoble, à la Bibliothèque départementale (BDP) de l’Ardèche ou encore dans le réseau des bibliothèques publiques de Wallonie-Bruxelles. A Aulnay-sous-Bois, le catalogue ne compte que 230 références, à peu près autant qu’à la BDP de Vendée. La Ville de Paris, en tant que plus gros réseau de France, se démarque avec 4 000 titres dans sa bibliothèque numérique lancée en octobre 2015. Les bibliothécaires privilégient les nouveautés et les best-sellers en littérature. "L’objectif principal, pour l’instant, est d’attirer le public avec une offre séduisante", confirme Alexandre Lemaire, responsable du numérique pour le réseau de lecture publique belge francophone et vice-président du Carel.

3. Les lecteurs sont-ils au rendez-vous ?

Pour l’instant, le succès n’est pas massif. Les grosses structures et celles où l’offre est la plus ancienne s’en sortent le mieux. A Montpellier Méditerranée Métropole, 10 275 prêts ont été effectués depuis les débuts en septembre 2014, par 1 000 lecteurs sur les 54 000 que compte le réseau. Des résultats honorables, comparables à ceux des autres ressources numériques : 9 300 prêts sur Arte VOD, 5 500 pour la presse numérique. A Grenoble, les 10 000 prêts ont été dépassés et concernent 1 300 des 35 000 usagers. 10 000 prêts également à Paris en quatre mois, réalisés par 3 500 lecteurs. La BDP de l’Ardèche se déclare satisfaite des 850 prêts enregistrés. "C’est plus que ce que l’on prévoyait, se réjouit Nelly Godonou, la directrice. Cela montre que, contrairement aux idées reçues, dans ce département rural à la population âgée, il y a un public pour le livre numérique." A Aulnay-sous-Bois, en revanche, pourtant très active dans ce domaine et cliente de la première heure de PNB, Thomas Fourmeux, coordinateur multimédia par intérim du réseau des bibliothèques, ne cache pas sa déception devant les résultats de 2015 : 250 téléchargements et 21 utilisateurs. "Ici, beaucoup de personnes sont en situation de précarité, peu sensibilisées à ces pratiques, peu équipées. Et celles que ça intéresse ne se tournent pas spontanément vers la bibliothèque", explique le jeune professionnel. Mais pour tous les bibliothécaires, offrir du livre numérique constitue un choix stratégique, indépendamment des résultats immédiats : "Les bibliothèques doivent être en phase avec les évolutions de la société", assure Sophie Perrusson, directrice des médiathèques de Levallois-Perret et présidente par intérim de Carel, le consortium qui négocie les ressources numériques pour les bibliothèques publiques.

4. Comment accompagner ce nouveau service ?

La médiation autour de l’offre de livres numériques, peu visibles car dématérialisés, est indispensable. La Ville de Paris propose sur son portail des listes thématiques avec présentation des jaquettes. "Ces listes constituent des tables de présentation virtuelles, explique Guillaume de La Taille, directeur du service des documents et des échanges à la Ville de Paris. L’effet sur les emprunts est immédiat." La médiathèque de Levallois-Perret organise des petits-déjeuners numériques pour présenter son offre, tandis qu’à Grenoble on joue sur l’attractivité : "On doit injecter des nouveautés très régulièrement pour maintenir l’intérêt", témoigne Guillaume Hatt.

5. Quel est le poids économique de PNB ?

Pour les libraires comme pour les éditeurs engagés dans PNB, les recettes sont encore faibles. Il s’agit pour l’instant d’un positionnement volontariste plutôt que d’une recherche de gains à court terme. "Cela constitue un enjeu économique et politique, affirme Philippe Touron, directeur des librairies parisiennes de Gallimard. Les libraires ne doivent pas se priver de cette source de revenus ni l’abandonner à des opérateurs qui n’ont rien à voir avec le livre. Nous considérons cette activité comme un nouveau secteur à développer." Le numérique représentait en 2014 2 % du chiffre d’affaires du Divan, l’une des librairies que gère Philippe Touron, dont 60 % provenant de la vente aux particuliers et 40 % des ventes aux bibliothèques. Pour la plateforme Eden Livres, PNB représente 3 % du marché numérique des particuliers. Editis ne dévoile pas ses chiffres mais concède "des objectifs commerciaux pour PNB".

6. Les modalités commerciales sont-elles adaptées ?

Elles sont laissées à la libre décision de chaque éditeur, créant une disparité que déplorent les bibliothécaires. Les licences ont le plus souvent une durée de six ans - mais seulement de trois ans chez Actes Sud par exemple. Le nombre de prêts attachés à un titre est généralement entre 30 et 40, avec la possibilité de 10 prêts simultanés. Quant au prix, il est généralement pour les bibliothèques de 1,6 à 2 fois supérieur à celui pratiqué pour la vente aux particuliers. "Notre offre nous paraît équitable mais elle va évoluer en fonction des usages réels", indique Alban Cerisier, secrétaire général de Madrigall.

Chez Editis, Virginie Clayssen, directrice chargée de l’innovation, envisage aussi des évolutions vers ce que souhaitent les bibliothécaires, c’est-à-dire un allongement de la durée des licences : "Nous jouons le jeu car nous sommes convaincus du rôle des bibliothèques dans le développement de la lecture numérique. Mais il est aussi de notre responsabilité d’être vigilants face aux potentiels impacts économiques pour nous et nos auteurs." Hachette Livre, nouvel entrant, se singularise avec une formule directement issue de son offre sur le marché américain : pas de limite à la durée des licences ni pour le nombre de prêts. Mais pas de possibilité de prêt simultané et un prix 3 fois supérieur au prix pour les particuliers pour les nouveautés de moins d’un an, et de 1,5 pour les autres.

L’abandon des DRM, ou au moins l’adoption d’un système de protection plus simple que celui d’Adobe, est une autre attente des bibliothécaires. "Il faut prévoir un accompagnement technique car cet aspect décourage une partie des lecteurs", reconnaît Gilles Gudin de Vallerin, directeur des médiathèques de Montpellier Métropole Méditerranée. L’arrivée fin 2016 de LCP, une DRM allégée émanant de la fondation Readium, pourrait changer la donne.

Jean-François Cusson: "Il faudrait mettre de côté certains paradigmes du papier"

 

Jean-François Cusson tire le bilan de l’expérience québécoise qui a inspiré PNB.

 

Jean-François Cusson, directeur général de Bibliopresto.- Photo DR

En janvier 2012, le Québec lançait une offre de prêt numérique pour les bibliothèques dont la particularité était de reproduire la chaîne commerciale du livre imprimé. Jean-François Cusson, directeur général de Bibliopresto, l’organisme qui gère la plateforme, tire les enseignements d’un dispositif qui a permis 2,5 millions de prêts.

Jean-François Cusson - 130 structures totalisant plus de 1 000 implantations sont clientes, soit presque tout le réseau des bibliothèques publiques du Québec et du Nouveau-Brunswick. 325 000 livres ont été achetés et 2,5 millions de prêts ont été enregistrés depuis la création de ce service qui touche près de 9 % des usagers. Aujourd’hui, offrir du livre numérique en bibliothèque est devenu la norme. Le chiffre d’affaires généré par les bibliothèques se monte à 2,5 millions de dollars canadiens - quand celui des particuliers est de 7 millions - et représente une part importante des revenus du numérique pour les libraires indépendants.

A l’origine, le principal objectif était de diffuser la littérature québécoise, mais nous avions démarré avec une offre incomplète car certains éditeurs étaient réticents. Nous avons maintenant tous les éditeurs québécois importants, présents avec la quasi-totalité de leurs catalogues alimentés en temps réel, sauf ponctuellement pour certains titres sur lesquels il y a un embargo de quelques mois. Plusieurs éditeurs français ont également rejoint notre dispositif.

En effet, nous avons retenu la notion d’exemplaire, comme pour le papier. Les livres numériques peuvent être prêtés 55 fois sans limites dans le temps. Le prêt unique restreint l’offre de service mais, en contrepartie, nous avons un système simple, identique pour tous les éditeurs, et bon marché puisque le prix pour les bibliothèques est le même que celui pour les particuliers. Depuis 2012, sur 325 000 ebooks achetés, seuls 300 ont épuisé leurs crédits de prêt car les bibliothèques achètent en plusieurs exemplaires les titres les plus demandés. Quant au risque de ne pas épuiser le crédit, il est comparable aux ouvrages papier que l’on achète et qui ne sortent que trois fois.

En 2012, nous avons pris la chaîne du livre imprimé et nous l’avons introduite de manière un peu artificielle dans le monde du numérique. Il faudrait maintenant mettre de côté certains paradigmes du papier qui n’ont pas leur place dans le numérique. Par exemple, un livre publié il y a vingt ans doit-il avoir le même prix qu’une nouveauté ? Nous réfléchissons aussi à une offre complémentaire de bouquets en streaming. Mais nous avons conscience que toute évolution doit se faire dans un système avantageux pour les éditeurs car s’ils disparaissent, nous n’aurons plus de contenus à proposer. Aujourd’hui, il y a aussi pour les bibliothèques, dont certaines possèdent des catalogues de plus de 20 000 titres, de gros enjeux autour de la médiation. Comment faire vivre physiquement ces collections dans les espaces de la bibliothèque ? Un usager peut venir tous les jours et ignorer que ce service existe.

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