Pour son canon de la psychanalyse, Isabelle Mons en a retenu douze, comme dans le livre des Prophètes, douze pionnières restées quelquefois dans l’ombre des figures masculines illustres mais qui ont contribué à ouvrir cette discipline et pas seulement à la question des enfants. Bien souvent premières de cordée dans la course à la compréhension du conscient, de l’inconscient et de ce mélange des deux que l’on pourrait appeler l’âme, elles ont permis de consolider l’édifice théorique et clinique où régnèrent des hommes comme Freud, Jung ou Adler. Certaines sont connues comme Lou Andreas-Salomé à laquelle Isabelle Mons a consacré une biographie remarquée (Perrin, 2012), Emma Jung, la digne épouse du dissident suisse, Anna Freud, la fille exemplaire de Sigmund, Melanie Klein ou Françoise Dolto qui ont tant œuvré pour la psychanalyse des enfants. Certaines le sont moins comme la princesse Marie Bonaparte, l’arrière-petite-nièce de Napoléon, qui organisa la fuite de la famille Freud et son installation à Londres. Dans la foulée, elle traduisit l’œuvre du maître et contribua à la diffusion de sa pensée en France. "Le plus grand bonheur de ma vie, c’est de vous avoir rencontré, d’avoir été votre contemporaine." Difficile de trouver plus bel hommage.
Et puis il a les destins tragiques, ces femmes brisées par l’existence comme Tatiana Rosenthal, Eugénie Sokolnicka ou Sophie Morgenstern qui se suicident respectivement à 36, 50 et 65 ans, ces femmes fracassées par le destin telle Hermine von Hug-Hellmuth, assassinée par son neveu à Vienne, ou ces femmes détruites par la folie des hommes comme Sabina Spielrein, massacrée en 1942 par les nazis à 57 ans dans le Caucase, ou Margarethe Hilferding, morte en déportation dans un camp près de Minsk en 1942.
Dans ce grand réveil de la libido, dans cette Mitteleuropa qui n’avait pas encore sombré dans le chaos, les hommes tirent les ficelles et ces femmes ont quelquefois bien de la peine à se déterminer parmi les différents courants, à choisir un camp, un amant, un avenir. Isabelle Mons raconte ces vies avec beaucoup de délicatesse. Dans ces portraits ciselés, plus ou moins longs, elle prend toujours soin d’expliquer ce que la discipline leur doit. Sans elles, la psychanalyse ne serait pas ce qu’elle est. Elles ont apporté un autre regard sur la sexualité, sur la liberté féminine et sur la prise en considération de l’enfant. Entre la douleur des névroses, les difficultés d’être et les besoins de paraître, cette course à la guérison s’avère souvent tragique pour ces femmes qui doivent composer avec leurs vies et leurs envies. Isabelle Mons explique fort bien l’embarras de ces Femmes de l’âme dans les cercles psychanalytiques, la difficulté d’achever un doctorat, d’exercer une profession et de mener une vie personnelle. Sans leur audace et leur naïveté quelquefois, les psys auraient beaucoup perdu en liberté de penser. L. L.