Derrière ce titre intrigant - La faune des cadavres - se cache un entomologiste spécialisé dans l’observation des insectes nécrophages. Egalement vétérinaire, Jean-Pierre Mégnin (1828-1905) est un précurseur de l’utilisation des mouches et autres bestioles peu ragoûtantes comme auxiliaires de la médecine légale. Ce livre déroutant, dont les deux parties furent publiées sous forme d’article et de communication en 1883 et 1887, résume quinze ans d’études sur la datation de la mort par l’observation du cadavre sur lequel se sont succédé ce que l’auteur nomme des "escouades" de diptères, coléoptères, microlépidoptères et acariens, huit escouades au total qui permettent d’envisager le décès sur une période allant de quelques jours à plus de trois ans.
Outre ce traité théorique écrit dans une langue très accessible, mais avec la froideur d’une autopsie, l’ouvrage nous entraîne sur le terrain de la pratique en examinant dix-neuf cas dans leur crudité morbide, avec pas mal de macchabées retrouvés dans des cheminées ou des placards. Ames sensibles s’abstenir. Les illustrations en couleurs de Xavier Carteret, qui dirige avec Patrick Reumaux cette collection "De natura rerum" (De la nature des choses) chez Klincksieck, ne font qu’ajouter à la réalité glauque de cette faune des tombeaux. Même les mots latins de ces "travailleurs de la morts" ne rassurent pas. Mais outre son aspect historique qui montre ce que les experts de Miami et les unités spéciales de New York doivent à des Jean-Pierre Mégnin, ce livre fascinant et terrifiant nous renvoie à la mort dans sa version organique et sur ce passage de la Genèse où la poussière retourne à la poussière. Alors oui, dans ce registre, il fait mouche.
Laurent Lemire