Essai/France 21 août Charles Coustille et Léo Lepage

A part quelques admirateurs comme Alain Finkielkraut ou Edwy Plenel, c'est un auteur qu'on ne lit guère plus mais dont on retrouve le nom en des lieux inattendus, près d'une Foir'fouille ou d'un Decathlon. Ainsi, quand le professeur demande à ses élèves de Créteil s'ils ont déjà entendu parler de Charles Péguy les réponses fusent : « Oui, c'est un arrêt de bus, juste à côté. » Stupéfaction de l'enseignant. « Je savais déjà que celui que je considère comme le meilleur écrivain français du XXe siècle était complètement ignoré par la plupart de mes contemporains, mais qu'on le prenne pour un parking ou un arrêt de bus, c'était autre chose. »

C'est pour comprendre ce curieux paradoxe que Charles Coustille, le prof en question, a entrepris ce voyage exploratoire de toutes les rues, voies et bâtiments Péguy en France avec le photographe Léo Lepage. Ensemble ils nous offrent ce livre inclassable, inspiré par les démarches esthétiques d'un Edouard Levé, où les images prennent un autre relief avec les citations du fondateur des Cahiers de la quinzaine.

Le récit adopte ainsi l'allure d'une promenade littéraire. Mais il est aussi un essai sur la disparition, sur tous ces noms qui ne disent plus rien à tant de gens, sur toutes ces plaques qu'on ne regarde plus et qui sont autant de fantômes d'une époque oubliée. C'est pour cela que des municipalités ont ajouté des dates et quelques indications pour répondre à une curiosité qui de toute manière ne s'exerçait plus.

Charles Coustille confronte ces rues tristes avec l'œuvre de Péguy. Il veut comprendre ce que ce nom, ces livres, cette vie arrachée au champ d'honneur en 1914 peuvent nous dire de la réalité sociale et de ces territoires populaires. « Il faut toujours dire ce que l'on voit. Surtout, il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l'on voit. » Les auteurs ont suivi le sage conseil de l'auteur d'Eve.

Plus de 350 rues, une trentaine d'avenues, une cinquantaine d'écoles, des stades, des impasses et trois parkings portent son nom. Dans ce travail d'odonymie - l'étude des noms propres désignant les voies de communication -, Péguy a un statut périphérique, comme sa place actuelle dans les lettres françaises. Voilà pourquoi Coustille et Lepage nous montrent un Péguy « phérique » et féerique, décentré, poétique et politique. Leur étrange anthologie - « hantologie » aurait dit Derrida - incite à lire Péguy au regard des photographies.

Dans ce jeu subtil de mise à distance et de rapprochement, des souvenirs surgissent. Une habitante de Mulhouse apprécie peu l'écrivain dreyfusard. En revanche, elle n'a pas oublié un détail. L'Audi verte dans laquelle se trouvait le corps de Hanns-Martin Schleyer, assassiné par la Fraction Armée Rouge en 1977, était garée dans la rue Charles- Péguy...

Charles Coustille et Léo Lepage
Parking Péguy
Flammarion
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22 euros ; 160 p.
ISBN: 9782081482807

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