Comment entre-t-on dans un roman formé d'une seule phrase de 194 pages ? On inspire un grand coup, on plonge et on se laisse faire. Mais peut-être vaut-il mieux le lire d'une seule traite, si on ne veut pas se retrouver, désorienté, au milieu de l'histoire divagante imaginée par l'éditeur et traducteur Pierre Demarty (Manhattan volcano, En face, Le petit garçon sur la plage). Sous des airs d'exercice de style, de délire narratif en roue libre, de marabout-bout-de-ficelle farfelu, Mort aux girafes est un livre rocambolesque au-dehors, tragique en dedans. Pour quelles sombres raisons, un certain Frédéric Berthet a-t-il mis fin à ses jours en se pendant dans la chambre numéro 16 de l'hôtel de Trêve à Bar-le-Duc un matin de janvier 2011 ? Avant d'avoir le fin mot du drame, Pierre Demarty prend visiblement plaisir à vous balader, de digressions en ellipses, explorant fausses pistes et homonymies - notamment avec l'écrivain Frédéric Berthet (1954-2003), l'auteur de Daimler s'en va. Après avoir fait la visite guidée du chef-lieu de la Meuse (ses curiosités, ses grands hommes, ses spécialités), vous suivrez les mésaventures, apparemment sans lien, d'un bibliothécaire dyslexique reconverti en détective privé très amateur et de ses improbables anciens compagnons de cellule rencontrés dans une prison belge figurant « dans le top ten des geôles les plus inhospitalières ». Vous croiserez un « ponte du grand banditisme » ancien « apprenti épépineur de groseilles ». Et vous saurez tout sur la sexagénaire Sophie la Girafe (marque déposée), bien connue des parents d'enfants en bas âge, qui aura un rôle déterminant dans cette funeste histoire. Facétieux, railleur, obsédé du détail, redoutable tailleur de portraits, l'écrivain s'amuse avec les genres et les styles. On pense parfois à Christine Montalbetti pour le jeu complice avec le lecteur, relancé à coups de « tenez-vous bien », « allez-y de ma part », « essayez de suivre un peu ». Ou à Didier da Silva (Dans la nuit du 4 au 15) pour l'art du télescopage spatio-temporel et des coïncidences hasardeuses.
Piégée sous le regard sarcastique de Pierre Demarty, l'auteure de cette chronique évitera soigneusement de qualifier ce roman de « petit bijou », terme « officiellement classé sur l'échelle de Richter de la critique littéraire juste un cran en dessous du "coup de cœur de la rédaction", du "livre dont on ne sort pas indemne" et de l'"attention chef-d'œuvre" ». Et dans la foulée, on éliminera aussi « virtuose » ainsi que « jubilatoire », déjà ironiquement épinglé par Hélène Gestern. Dans la catégorie cliché, on tentera « drôle de livre », « singulier », « inclassable ». « Malin » ? Va pour malin.
Mort aux girafes
Le Tripode
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 17 € ; 200 p.
ISBN: 9782370552792