Livres Hebdo - Qu’est-ce qui différencie le Furet du Nord de Virgin, enseigne que vous connaissiez bien puisqu’elle a été votre maison mère de 2001 à 2008 au sein du groupe Lagardère Services ?
Pierre Coursières - C’est simple : nous avons des loyers bien moins chers ! Les coûts immobiliers sont la première raison de l’échec de Virgin. Par ailleurs, nous avons un mix produit différent. Nous n’avons donc pas été aussi fortement exposés au développement d’Internet et du numérique. Dans le secteur du livre, où nous réalisons 50 % de notre activité, le numérique représente encore moins de 1 % du marché et les ventes par Internet sont stabilisées à 12 %.
Est-ce une façon d’affirmer votre confiance dans le commerce traditionnel ?
Il faut arrêter de dire qu’Internet est l’alpha et l’oméga du commerce moderne. Les magasins sont toujours là et pour longtemps encore, à mon avis. Par contre, ils ne sont plus incontournables. S’ils veulent rester dans la course, ils doivent séduire et donner envie. C’est la clé de leur avenir.
Quelles sont les recettes de cette séduction ?
La qualité de l’expérience client est primordiale, sachant qu’elle vient à 50 % de la qualité du contact avec les vendeurs. Cette dernière repose bien sûr sur leurs compétences, mais aussi sur leur motivation. Contrairement à ce que pensent certains de mes confrères, et non des moindres, cette motivation est en grande partie liée à la décentralisation des prises de décisions. La gestion des achats fait partie du métier de vendeur et de son intérêt. C’est pourquoi, au Furet, nous avons une pyramide inversée en ce qui concerne les prises de responsabilité. A 90 %, ce sont les vendeurs qui définissent l’assortiment.
L’autre point important pour attirer les clients concerne la présence des produits en magasin. Il faut pouvoir y acheter sans avoir à commander. Ainsi, dans notre nouveau magasin ouvert à la mi-novembre à Dunkerque, nous offrons 50 000 références produits là où Virgin n’en proposait pas plus de 35 000.
Pensez-vous que l’offre éditoriale est adaptée aux évolutions économiques et sociales ?
Les livres sont trop chers. En littérature grand format, quand on a des prix supérieurs à 20 euros, on se prive de volumes. Et en poche, plus on s’approche du seuil symbolique de 10 euros, plus c’est tendu. C’est d’autant plus vrai que la consommation est en berne. Il faut que les éditeurs prennent conscience qu’on est dans une économie où l’élasticité au prix est de plus en plus importante.
Comment expliquez-vous les difficultés du secteur ?
Il faut arrêter la sinistrose. Les problèmes rencontrés par certaines enseignes ne sont pas liés aux produits culturels qui suscitent toujours autant d’appétence. C’est la gestion qui a perdu Virgin et ce sont les produits technologiques qui posent problème à la Fnac. En fait, la crise liquide les faibles et conforte les forts. Elle fait aussi apparaître de nouveaux players. J’aimerais juste que ces derniers paient leurs charges en France et jouent à armes égales avec nous. C’est pourquoi il faut un cadre législatif.
Quels sont, pour vous, les éléments différenciant le Furet du nord de ses concurrents ?
Le Furet du nord a une longue histoire par rapport à d’autres. Ce qui explique que notre réseau soit aujourd’hui hybride, avec des magasins de taille très différente. Toutefois, cet ensemble présente une vraie cohérence liée au respect de certains fondamentaux. Le fil rouge, c’est notre façon de faire du commerce. Notre force, c’est l’agilité et les circuits de décision courts. Il n’y a que trois niveaux hiérarchiques entre un vendeur et moi. Mais c’est aussi une certaine prudence en matière de gestion. Nous sommes notamment très vigilants sur nos charges locatives. On sait que si elles représentent plus de 5 % du chiffre d’affaires du magasin, ça ne peut pas marcher. Avec la crise, on ne peut pas être laxiste. Il faut tenir les marges. Quand on ouvre de nouveaux magasins, il faut qu’ils soient rapidement rentables.
Depuis 2010, vous avez créé 7 magasins et vous êtes pour la première fois sorti de votre région historique. Ce dynamisme est-il lié au changement d’actionnariat intervenu en 2008 ?
Quand on s’est séparé de Virgin, on a enfin pu mettre en place ce que l’on voulait faire depuis longtemps. On a établi un business plan avec nos nouveaux actionnaires de l’époque, à savoir deux fonds de gestion régionaux : Vauban Partenaires et Participex Gestion, qui nous soutiennent depuis lors. Aujourd’hui, on est dans la logique de ce plan mais il faut reconnaître qu’en 2013, avec trois ouvertures, ils ont été un peu bousculés.
La faillite de Virgin et le dépeçage de Chapitre créent des opportunités de développement en ce moment. Regardez-vous certains dossiers ?
Nous avons déjà repris l’emplacement du Virgin de Dunkerque et nous nous sommes installés à Carré Sénart parce que l’enseigne en était partie. Comme en témoignent ces deux magasins, nous sommes intéressés par les centres commerciaux où nous pouvons négocier avec le bailleur des conditions en accord avec nos logiques économiques. Concernant les magasins Chapitre, c’est aujourd’hui très compliqué de se positionner.
Quels sont vos projets d’ouvertures à moyen terme ?
Nous sommes attentifs aux opportunités. Il faut voir loin mais raisonner à court terme. En ce sens, le Furet n’a pas forcément vocation à se limiter au Nord-Pas-de-Calais et à l’Ile-de-France. Toutefois, à ce jour, je ne peux vous annoncer qu’une implantation à Beauvais, prévue en 2015. En 2014, nous avons aussi le projet de repenser l’aménagement de notre vaisseau amiral qui s’étend sur 4 700 m2 à Lille et réalise 30 % du chiffre d’affaires du groupe. Depuis sa rénovation il y a presque dix ans, le marché a fortement changé : certains secteurs, comme le disque, la vidéo, mais aussi le livre scolaire et universitaire, ont chuté, tandis que d’autres comme la jeunesse ont explosé. Il faut en tenir compte et s’adapter.
Au sein du groupe, où se situent vos axes de progrès ?
Ils sont en grande partie dans l’articulation entre nos magasins et notre site Internet. Envisagé comme support, Internet peut nous permettre de développer de nouveaux services pour notre clientèle, que ce soit dans les logiques Web to store ou store to Web. Parallèlement, nous allons continuer à croître sur les marchés aux collectivités, qui réalisent aujourd’hui 10 % de notre chiffre d’affaires. Avec notre outil logistique à Lomme, un site Internet dédié à notre activité B to B et des services de conseils efficaces, nous sommes en mesure d’assurer un bon service. La mairie de Paris ne s’y est pas trompée en nous confiant certains de ses marchés.
Comment appréhendez-vous la fin de l’année ?
Je pense que le marché du numérique va vraiment démarrer. En tout cas, nous sommes prêts à répondre à la demande. Avec ePagine comme opérateur de référence, nous proposons depuis peu les liseuses de PocketBook qui sont de bons produits. D’une manière générale, le livre sera encore un vrai cadeau pour les fêtes de Noël. In fine, nous devrions terminer l’année 2013 avec un chiffre d’affaires de plus de 80 millions d’euros (contre 78 millions en 2012) et un résultat net en hausse aussi.