Qui sont les auteurs de guides touristiques ? 6/6

Philippe Lemonnier (Ouest France) : "Voyager à pied est une façon de retrouver ses racines"

Philippe Lemonnier - Photo Christophe Migeon

Philippe Lemonnier (Ouest France) : "Voyager à pied est une façon de retrouver ses racines"

Parcourir le monde, dormir à l’hôtel et dîner au restaurant tous frais payés, c'est le métier des auteurs de guides de voyage. Pourtant, on en sait peu sur cette profession qui fait rêver. Parcours, recrutement, galères, souvenirs inoubliables… Voici la fin de notre série pour mieux connaître ces voyageurs pas comme les autres. Cette semaine, Philippe Lemonnier, auteur indépendant qui publie notamment chez Ouest France.

J’achète l’article 1.5 €

Par Manon Quinti
Créé le 14.08.2014 à 15h01

Dans ses ouvrages, pas d’adresses de restaurants ou d’hôtels. Philippe Lemonnier est écrivain. Il rédige des textes littéraires sur l’histoire des lieux qu’il parcourt et ses acteurs, passés ou présents. Alpes, Bretagne, Provence… Ce Parisien de 60 ans a passé sa vie à voyager, surtout en France, et beaucoup à pied. Après des années en entreprise, il a fini par faire du voyage son métier. Aussi photographe, il conçoit ses guides de voyage comme une "incitation à prendre la route" et une manière de retrouver la "vraie mesure" de l’homme.

Qu’est-ce qui vous a mené à l’édition touristique ?  
J’ai eu deux parcours professionnels. Pendant plus de 20 ans, j’ai été au service d’entreprises. Puis j’ai été amené à changer de vie. Je me suis dit : pourquoi ne pas faire ce que j’aime ? Je me suis mis au service des aventures humaines. Quatre mots ont toujours présidé à ma vie, même au niveau professionnel : l’altérité, la rencontre, l’hospitalité et l’étranger. J’avais une passion pour l’exploration, or j’ignorais qu’on pouvait en faire son métier. En 2001, j’ai parcouru à pied les "chemins oubliés" vers Saint-Jacques-de-Compostelle, pendant un mois et demi.
 
Le hasard a fait que Jean Malaurie, un des plus grands anthropologues, a entendu parler de mon exposition de photographies sur les gens qui habitent au bord de ces chemins. Il m’a demandé de témoigner dans son séminaire hebdomadaire, à l’Ecole des hautes études des sciences sociales (EHESS). Je suis devenu son élève. Le passage à l’édition s’est fait de fil en aiguille après mon voyage à Compostelle. Il faut dire que j’ai toujours été passionné par les livres. Avant, ma bibliothèque contenait 3000 titres.

Comment avez-vous été "recruté" ? 
Un auteur d’Arthaud-Flammarion que j’avais rencontré a rapporté mon voyage à l’éditrice de l’époque. Elle m’a proposé de faire un livre sur ce chemin "oublié". Je devais d’abord produire les trois ou quatre premières pages et le plan de l’ouvrage. Quelques années après, j’ai été contacté par Ouest France. L’éditeur était tombé sur mon deuxième livre, Le Voyage à pied, chroniques de la pérégrination (2007). Une de mes connaissances devait écrire La Grande Traversée des Alpes mais ne pouvait plus le faire. Il a parlé de moi à l’éditeur.

Avez-vous depuis longtemps cette passion pour le voyage ?
Je reprends un mot de Paul Morand : "'Ailleurs' est toujours un mot plus beau que 'demain'." Pour une raison que j’ignore, il faut que je parte. Un proverbe juif dit qu’on ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes. Mes parents ne m’ayant pas donné de racines, mes parents m’ont donné des ailes plus fortes que les autres, peut-être.
 
J’ai toujours agrémenté mes déplacements professionnels de voyages. Quand j’arrivais dans une ville le soir et que je devais repartir le lendemain matin, je demandais à un taxi de me faire faire le tour de la ville. Mon premier voyage à pied dont je garde un souvenir, c’était à l’âge de 12 ans. Je suis parti tout seul pendant quatre ou cinq jours, c’était la grande découverte. Je me suis rendu compte que j’étais capable de parcourir de grandes distances par ma seule autonomie. Plus tard, j’ai beaucoup voyagé à pied et à cheval, surtout en France. Dans le monde d’aujourd’hui qui va très vite, le fait d’aller à pied est une façon de retrouver ses racines et notre vraie mesure, qui est tout ce qui se mesure au pas de l’homme. Quand on enfant naît, la première chose qu’on attend, ce sont ses premiers pas.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.


Comment travaillez-vous ? 
Je travaille sur des chemins qui ont du sens, une réalité. Je fais en général le voyage d’une traite. Pour La Grande traversée des Alpes (2009), j’ai voyagé un mois, pour trois mois d’écriture. Je pars globalement avec un sac de 5 kg : le voyage à pied est pour moi également synonyme de dépouillement. Je prends des photos, je note ce que je ne peux pas retrouver à la maison : une impression, le prénom de quelqu’un, une anecdote, une phrase entendue dans un bistrot… Je discute avec les gens que je rencontre. Ce sont eux qui connaissent leur région. Dans le livre, je nomme les lieux, mais le livre est nourri d’aventures humaines, ce que ne contient pas nécessairement un guide classique. Par exemple pour La Route des Grandes Alpes (2012), je donne le nom des cols. Mais je raconte aussi que ce n’est pas une route touristique mais une route militaire, construite après 1860 par l’armée française, en cas de conflit avec les Italiens.

Quelles sont les difficultés du métier ?
Le seul inconvénient, c’est que c’est difficile d’en vivre correctement, même si j’ai la chance d’avoir des avances sur droit d’auteur correctes et que mes ouvrages se vendent bien. C’est l’aspect aléatoire des revenus qui est difficile. En tant qu’ancien chef d’entreprise, je sais ce que c’est que de ne pas avoir de revenu fixe à une date fixe. Mais la précarité est inhérente au métier d’auteur, c’est comme si on se plaignait de la page blanche ! Et puis je suis conscient de l’état du secteur du livre : il y a deux ans, je faisais aussi de l’audit pour aider les éditeurs à gérer leurs entreprises.

Quel est votre statut ? Arrivez-vous à vivre de cette activité ? 
Je suis auteur indépendant.

Quel est votre pire souvenir ? 
Je me souviens d’avoir été pris dans une tempête de neige à 3000 mètres d’altitude quand je traversais les Alpes, alors qu’on était en juillet. La nuit allait tomber, je ne trouvais plus le chemin. C’est un moment difficile sur l’instant, mais ce n’est pas un mauvais souvenir.

La Dordogne
Et votre meilleur moment ?
Ma première nuit dehors, à la belle étoile, dans la forêt, en Dordogne. J’avais 12 ans. J’ai découvert qu’il existait un ciel avec des étoiles filantes. Cette nuit m’a donné envie de continuer le voyage à pied.
 

Petite bibliographie
  • Le chemin oublié de Compostelle (Arthaud/Flammarion, 2004)
  • La Grande Traversée des Alpes (Ouest France, 2009)
  • Les Routes de la Lavande (Ouest France, 2011)
  • La Route des Grandes Alpes (Ouest France, 2012)
  • Carnet du marcheur de Bretagne (Ouest France, 2014)
  • Carnet du marcheur de Paris (Ouest France, à paraître le 22 septembre)

Les dernières
actualités