Un foyer à Montparnasse. On connaît la vieille antienne rabâcheuse, « Modiano écrit toujours le même livre... » Outre le fait que ce préjugé ne tient pas à l'examen (selon le mot du critique Jean-Baptiste Harang, « il n'écrit pas toujours le même livre, il le continue »), il faudrait être singulièrement de mauvaise foi pour faire ce reproche au Prix Nobel de littérature à propos de son inattendu et très plaisant nouvel opus, 70 bis, entrée des artistes. Ne serait-ce que parce que pour la première fois (si l'on excepte ses collaborations avec des illustrateurs, sa femme, Dominique Zehrfuss, Sempé ou Pierre Le-Tan), Modiano cosigne son livre. L'heureux élu se trouve être Christian Mazzalai, inconnu jusqu'ici au bataillon des auteurs, mais à la notoriété bien plus établie en sa qualité de guitariste du célèbre groupe de pop-rock French touch Phoenix. On apprend, sans plus de détails que nécessaire, que les deux hommes sont amis de longue date.

Tout part du jour où un proche du musicien lui remet une caisse de documents relatifs à la vie des habitants d'un immeuble de Montparnasse situé au 70 bis, rue Notre-Dame-des-Champs, du Second Empire jusqu'à l'après-guerre. La machine à rêver, à spéculer, à investiguer est en route. C'est moins une histoire que révèlent ces vieux papiers qu'une sorte d'art de vivre qui se poursuit plus d'un siècle durant. Bien entendu, en ces lieux, en ces temps, les écrivains et les peintres sont les premiers au rendez-vous et Paris demeure une fête. Stevenson, Picasso, Rodin, Proust, mais aussi Ezra Pound ou Claude Cahun tiennent leur rôle, mais ni plus ni moins que de singulières apparitions : un singe surgi des brumes de la mémoire, un atelier de masques pour les soldats mutilés de la Grande Guerre ou un certain Samuel Granowsky, artiste surnommé « le cow-boy de Montparnasse », entre autres plaisantes étrangetés. Un petit monde en miniature, partagé entre farces et drames, qui danse au bord des volcans de l'Histoire et que les deux auteurs observent entre ironie et empathie. Il n'y a pas qu'à Saint-Germain-des-Prés qu'il n'y a plus d'après ; à Montparnasse aussi, puisqu'il n'y a plus d'artistes. Mais en tendant l'oreille du côté de la rue Notre-Dame-des-Champs...