Ce n’est pas l’ancienne actrice avec laquelle on a rendez-vous chez son éditeur. Celle aperçue dans Péril en la demeure de Michel Deville, Twist againà Moscou de Jean-Marie Poiré ou dans l’adaptation télévisée, signée Yves Robert, de L’été 36 de Bertrand Poirot-Delpech. Ce n’est pas non plus l’épouse discrète et peu médiatique d’un certain Vincent Bolloré. La Anaïs Jeanneret que l’on retrouve dans le hall d’Albin Michel est juste une romancière qui s’est faite trop rare ces dernières années.

Une romancière découverte au début des années 1990 avec un texte poignant et intimiste : Le sommeil de l’autre, paru chez Stock dans une collection « Stock bleu » dirigée par Blandine de Caunes. Un court volume tendu mettant en scène « une femme, un homme, un autre homme et l’amour », comme l’expliquait dans sa préface une Flora Groult impressionnée par la manière de procéder de la talentueuse débutante.

Anaïs Jeanneret a laissé l’écriture en suspens pendant dix ans pour des raisons personnelles. La solitude des soirs d’été, qui marque son grand retour, a surgi quand elle terminait La traversée du silence (Albin Michel, 2002). Elle a repris il y a un an et demi le manuscrit de ce roman d’apprentissage tiré au cordeau. Au départ, elle avait envie de raconter une « rencontre entre deux personnages qui n’auraient pas dû se rencontrer», Louis et Alda. Le premier a 22 ans et rêve d’une autre vie que la sienne qui n’a jusqu’ici été « qu’une attente pleine d’ennui ».

A l’avant-première d’une exposition Rothko, le jeune homme fait la connaissance d’une femme qui a le double de son âge. Alda n’a jamais travaillé. Elle est mariée à un architecte souriant et à l’aise, a deux garçons, de 9 et de 11 ans. Chez elle, Louis décèle pourtant d’emblée « le signe d’un déséquilibre, la possibilité d’un chavirement ». La solitude des soirs d’été a manqué s’intituler La fin de l’innocence. Anaïs Jeanneret l’a tapé directement à l’ordinateur. Tous les après-midi, quatre heures d’affilée.

Actrice, elle ne l’a plus été depuis la fin des années 1990 et n’a, dit-elle, nulle intention de recommencer à l’être. C’est un métier qu’elle a abordé « par hasard », continué « par confort ». Une vie plaisante qui ne lui correspondait pas, pour laquelle elle ne se sentait pas faite. Elle n’en a d’ailleurs presque aucun souvenir. Comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Comme si cela s’était « détaché physiquement » d’elle. Sans qu’elle renie « quoi que ce soit ».

Une histoire compliquée.

L’élégante et longue femme blonde explique avoir grandi dans un milieu « pas dans les clous ». Au sein d’une famille bourgeoise mais à l’histoire compliquée. Son père est mort quand elle était petite. Sa mère travaillait comme monteuse vidéo. Etudiante, Anaïs voulait être architecte. Le réalisateur Jean-Daniel Verhaeghe cherchait une jeune comédienne pour un tournage qui commençait cinq jours plus tard, L’étrange château du docteur Lerne. Elle avait 18 ans, venait de passer son bac. A détesté l’expérience mais a pourtant poursuivi le chemin.

L’écriture, elle y est venue sans avoir l’intention d’être publiée. Après avoir terminé Le sommeil de l’autre, elle cherchait « plus un avis qu’un éditeur ». Patrick Poivre d’Arvor, à qui elle l’avait soumis, a eu la bonne idée de transmettre le manuscrit à Jean Rosenthal, qui dirigeait Stock à l’époque et en a décidé autrement. Remplacé par Alain Carrière, Rosenthal l’aiguille ensuite vers Françoise Verny et Flammarion où elle fait paraître Poupées russes en 1994. Un volume qui s’ouvre à Saint-Pétersbourg en 1917. Mais ce n’est pas celui de ses livres qu’elle aime le plus « a posteriori » : elle le trouve trop « féminin ». Pour le suivant, Les yeux cernés (Anne Carrière, 1999), le « portrait d’une génération qui a de grandes ambitions mais passe à côté du bonheur », elle conserve en revanche une tendresse particulière.

Anaïs Jeanneret explique mettre beaucoup d’elle dans ses textes, sans être le moins du monde tentée par l’autofiction. Elle aime les romans. Préfère inventer des histoires, des personnages. Son prochain opus mûrit déjà dans sa tête, quelques notes ont déjà été griffonnées. Espérons juste qu’on n’attende pas dix ans avant de pouvoir le lire !Alexandre Fillon

La solitude des soirs d’été, Anaïs Jeanneret, Albin Michel, 19 euros, 231 pages, ISBN : 978-2-226-24831-2. Sortie : 2 mai.

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