Constitutionnaliste, essayiste, éditorialiste, ancien député européen (socialiste), président de Sciences po, l'éminent Olivier Duhamel, tombé dans la marmite politique dès son enfance, est le fils de Jacques Duhamel (1924-1977), centriste disciple d'Edgar Faure, qui sera député, et même ministre des Affaires culturelles de 1971 à 1973, sous Pompidou et le Chaban de la « Nouvelle société » - concept retentissant torpillé par un certain Giscard d'Estaing. Jusqu'à ce que la maladie dégénérative qui devait l'emporter quelques années plus tard ne le contraigne à démissionner de toutes ses fonctions.
Quant à sa mère, Colette (1924-2007), née Rousselot, dans une famille aisée d'industriels, passionnée de culture, de littérature surtout, c'était une femme libre, directe, à rebours des conventions de son époque et de son milieu. Un temps directrice de La Table ronde - on lui prête une liaison, aussi torride que brève, avec Roger Nimier -, elle ne parvint pas à s'entendre avec Roland Laudenbach, et rejoignit la maison mère, Gallimard, où elle fut lectrice et s'occupa, entre autres, du domaine anglo-saxon. En 1980, veuve, elle épousa Claude Gallimard, le P-DG, divorcé de sa première femme, Simone (1914-1995), laquelle dirigeait le Mercure de France. Colette contribua, selon son fils Olivier, à sauver l'indépendance de la prestigieuse maison, d'abord face aux appétits d'Hachette, et plus tard de l'implosion lorsque les deux aînés des enfants Gallimard, Françoise et Christian, vendant leurs parts de l'entreprise, déclenchèrent en 1990 un véritable séisme, bien au-delà du domaine littéraire.
Olivier Duhamel a souhaité redonner vie à ses parents, à leur amour - ils s'étaient rencontrés en 1947, un véritable coup de foudre -, à leurs drames aussi, en adoptant la forme du roman, ce qui est son droit. Du coup, on imagine que tous les dialogues qui y figurent sont des reconstitutions, ou des échos de récits qu'on lui en a faits, lorsque, né en 1950, il était lui-même trop jeune pour avoir assisté à ce qu'il raconte ou décrit, ou en avoir perçu les enjeux. La matière du livre est historique, précise et documentée. Et l'auteur n'évite pas certains sujets sensibles : le comportement d'Edgar Faure avec les femmes, par exemple, les infidélités de Colette, ou la fin de Jacques, dont il laisse entendre qu'elle aurait été consentie.
On s'étonnera, en revanche, de quelques ellipses : à peine quelques mots sur Malraux ministre de la Culture, pionnier sans qui Jacques Duhamel n'aurait pas pu poursuivre certains chantiers ; nulle mention de Simone Gallimard qui, elle aussi, quoique déjà très malade, a largement œuvré en coulisse pour sauver Gallimard. Et de quelques raccourcis : Gide, mort en 1951, n'a jamais été vraiment lié à La Table ronde, ni la revue ni les éditions. Il était bien trop « sulfureux » et pas assez droitier pour elle.
Histoire, politique, édition, littérature se mêlent ici, incarnées par tous les beautiful people du siècle dernier, dont certains assez oubliés. Les Duhamel, par exemple, qui méritaient bien ce roman-témoignage.
Colette et Jacques
Plon
Tirage: 9 500 ex.
Prix: 18,50 euros ; 272 p.
ISBN: 9782259268448