Assises internationales de l'édition indépendante

A Pampelune, l’édition indépendante réaffirme ses engagements politiques

De gauche à droite : Samar Haddad (éditrice, Atlas Publishing), Barbora Baronová (éditrice, Wo-Men), Ana Gallego Cuiñas (professeure de littérature latino-américaine à l'Université de Grenade), Julia Ortiz (éditrice, Criature Éditora) et Djaïli Amadou Amal (autrice). - Photo ©Cécilia Lacour/LH

A Pampelune, l’édition indépendante réaffirme ses engagements politiques

Réunis à Pampelune (Espagne) du 23 au 26 novembre pour les Assises internationales de l’édition indépendante, les professionnels ont réaffirmé la défense d’une "édition indépendante, décoloniale, écologique, féministe, libre, sociale et solidaire", résume Laura Aufrere, présidente de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. 
 

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Par Cécilia Lacour Pampelune ,Espagne
Créé le 29.11.2021 à 10h00

"Pampelune, capitale mondiale de l’édition indépendante en 2021", aime à souligner Aritz Otazu Lujambio, éditeur espagnol d’Editorial Mintzoa et président de l’Association des éditeurs de Navarre (Editargi). Et il a raison. Du 23 au 26 novembre, plus de 150 éditrices et éditeurs, représentant 129 maisons installées dans 49 pays, se sont retrouvés dans cette capitale de la communauté autonome de Navarre, au nord de l’Espagne, lors de la quatrième édition des Assises internationales de l’édition indépendante, organisées par l’Alliance internationale des éditeurs indépendants avec le concours d’Editargi. 

Pendant quatre jours, les professionnels ont célébré l’édition indépendante. Mais pas que. Ils l’ont aussi repensée. Bibliodiversité, écologie, relation de domination et de pouvoir, féminisme, économie sociale et solidaire, censure, langues "minorées"… Ce sont autant de thématiques abordées lors de ces Assises. L’objectif ? Tracer une feuille de route pour définir et réaffirmer les engagements des éditeurs indépendants membres du réseau de l’Alliance. 

Engagements

"L’édition indépendante doit permettre de faire entendre des voix et des idées radicales", assure par exemple Julien Lefort-Favreau, professeur de littérature française et d'études culturelles à l'Université Queen's (Kingston, Canada) et auteur du Luxe de l'indépendance (LUX/Futur proche). "Les indépendants travaillent contre l’uniformisation", complète Gisèle Sapiro, autrice, directrice d’études à l’EHESS et directrice de recherche au CNRS. 

Si les éditeurs indépendants oxygènent la production éditoriale et offrent des alternatives, ils souffrent pourtant d’un problème de définition. "Qu’est-ce qu’un éditeur indépendant ?", se demande l’éditeur et traducteur indonésien Ronny Agustinus (Marjin Kiri). "Dans des sociétés trompées par les fake news, être indépendant n’est pas suffisant. Nous devons savoir quel type d’édition indépendante nous souhaitons promouvoir. Doit-on seulement se concentrer sur le seul paramètre de ne pas appartenir à un groupe d’édition ?", continue-t-il. 
 

De gauche à droite : Reza Chavoushi (éditeur, Dena Publishing Center), Azadeh Parsapour (éditrice, Nogaam Publishing), Indira Chandrasekhar (éditrice, Tulika Books), Ronny Agustinus (éditeur, Marjin Kiri) et Djaïli Amadou Amal (autrice). - Photo ©LAURENCE HUGUES / ALLIANCE INTERNATIONALE DES ÉDITEURS INDÉPENDANTS


"Le positionnement politique est de défendre une édition indépendante, décoloniale, écologique, féministe, libre, sociale et solidaire", répond Laura Aufrere, présidente de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. Un document, intitulé "Déclaration de Pampelune", est d’ailleurs en cours de rédaction pour "préciser politiquement ce qu’est être un éditeur indépendant" engagé sur ces thématiques, déclare-t-elle. 

Chantiers

Les chantiers sont nombreux. Directeur de Vents d’ailleurs, Gilles Colleu a par exemple pointé du doigt la nécessité de "s'approprier les informations quant à la fabrication de leurs livres et du modèle économique autour de l’impression" afin de travailler à réduire l’impact environnemental de leur activité éditoriale. De son côté, Barbora Baronová, fondatrice de la maison tchèque Wo-Men, souhaite que les femmes se réapproprient leurs voix et leurs sujets que "des hommes et de grands groupes s’approprient" désormais, suite à la flambée de la production de titres féministes post-#metoo. 

Un engagement partagé par l’autrice Djaïli Amadou Amal, Goncourt des lycéens 2020 pour Les impatientes (Emmanuelle Collas). "Je continuerai à écrire sur les femmes parce que c’est à nous de le faire", assure-t-elle, affirmant par ailleurs sa volonté de "continuer à être aussi publiée en Afrique par des éditeurs indépendants africains". En effet, avant de paraître en France, Les impatientes a été édité en 2017 par l’éditeur camerounais Proximité sous le titre Munyal, les larmes de la patience. "Il est important que des auteurs et autrices portent la parole des éditeurs et défendent la création et l’édition locale", salue Laurence Hugues, directrice de l’Alliance internationale des éditeurs indépendants. 

Censure

Les professionnels ont également mis en lumière la censure à laquelle ils sont confrontés. "Ce sujet est une question centrale qui ne s’éteindra pas pour des raisons politiques propres à chaque pays ou région, et en raison du positionnement politique des éditeurs indépendants", estime Laura Aufrere. "Elle est certes plus évidente dans les pays du Sud mais elle existe aussi dans les pays du Nord, d’une manière polymorphe", insiste l’éditrice turque de Metis Publishiers Müge Gursoy Sokmen. L’Alliance internationales des éditeurs indépendants a mené une "étude qualitative et inductive pour comprendre la censure" à partir des témoignages des membres du réseau. Cette analyse sera publiée au début de l’année prochaine. 

La table ronde consacrée à la censure a d’ailleurs mis en lumière "des témoignages parfois douloureux mais a aussi permis de souligner des initiatives portées avec un courage incroyable", déclare Laurence Hugues. Comme celle portée par Azadeh Parsapour, éditrice iranienne exilée au Royaume-Uni. Fondatrice de Nogaam Publishing, et à l’initiative du Salon du livre de Téhéran non censuré, elle milite pour rendre accessible des titres censurés en Iran en les mettant à disposition gratuitement sous format numérique. Son activité est aujourd’hui menacée par la volonté du gouvernement iranien de mettre en place un intranet national, susceptible de couper ses habitants de l’Internet mondial. 

Les "défis permanents", selon Laura Aufrere, sont donc nombreux à peser sur l’édition indépendante. Mais à Pampelune, les professionnels ont ouvert des espaces d'échange et de réflexion afin de réaffirmer la vision politique de leur activité. Celle de promouvoir une édition indépendante mondiale attachée à la liberté d’éditer et à la bibliodiversité.

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