« Quand on lui demande de quoi parlent ses livres, maintenant il répond "d'identité". Au début il disait "mauvaise conscience", maintenant il dit "d'identité". » Dans son septième livre chez Quidam, Philippe Annocque questionne en effet tout particulièrement l'identité, la créolité, le métissage dont il est issu. Mais ce sont des mots bien abstraits pour rendre compte de sa démarche, de la forme pleine d'attentions et d'incertitudes de ce beau récit en fragments qui accueille les extraordinaires souvenirs d'enfance de sa mère, dans les années 1930 en Guyane, puis dans les années 1940 en Martinique.

Où le fils écrivain se pose des questions mais doute de vouloir connaître les réponses : qu'est-ce qu'être une « petite mulâtresse blanche » à cette époque-là, dans cette société-là ? Que trahit un prénom, un nom de famille, de rue ?

La sincérité de ce portrait miroitant provient du fait que l'écriture donne à voir le processus de tri et de décantation de la mémoire : ce que celui qui raconte garde ou pas, ce qu'il ajoute, retouche, les coutures apparentes, les repentirs. Philippe Annocque interroge sans cesse cette matière instable qu'il manipule avec beaucoup de précaution : les anecdotes recueillies puis rapportées, les mythologies familiales, les silences, et sa place à lui, de fils et de narrateur à la troisième personne du singulier. Ainsi dessine-t-il la silhouette d'une petite fille qui fête ses 4 ans au bord d'un fleuve, dans la jungle guyanaise, « la brousse ». D'une fillette débarquant à 7 ans à Fort-de-France avec ses parents, dans la famille maternelle au sein de laquelle elle va désormais grandir. Comment Olga devient alors Marie-Thérèse, « son prénom d'Outre-Mer ». Ses relations conflictuelles avec l'école, le poids du catholicisme, les préjugés racistes - « trop colorée » à Cayenne, trop blanche aux Antilles. Se forme l'image d'une enfant rebelle, trop « garçonnière » - « ce doit être un créolisme. Il n'en sait rien en fait » -, vive et douée, qui a dû lutter pour échapper au contrôle de la société, pour vivre librement.

Constatant l'impuissance de l'écriture à reproduire les accents et les intonations de voix, l'écrivain s'attache néanmoins à rester au plus près de la langue maternelle, de ses formulations mêmes banales. « Il recopie les mots de sa mère. Il aurait des scrupules à les changer. Il sait que le cliché n'en est pas un. Ça, il faut qu'il le précise parce qu'un lecteur pourrait le croire : le cliché n'en est pas un. Pas du tout. » Vraiment pas.

Philippe Annocque
Les singes rouges
Quidam
Tirage: 1 500 ex.
Prix: 18 € ; 172 p.
ISBN: 9782374911458

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