9 mars > Récit France

De Vincent Hein, on avait déjà lu deux carnets de voyage épatants, A l’est des nuages (Denoël, 2009), et L’arbre à singes (Denoël, 2012). Le premier consacré à la Chine où, conseiller à la Mission économique auprès de l’ambassade de France, il vit depuis 2004. Le second à l’Asie en général. Outre ses qualités littéraires, Hein y faisait preuve à la fois de fascination et d’empathie, mais aussi d’une certaine distance salutaire, servie par un robuste sens de l’humour.

On retrouve aujourd’hui toutes ces vertus dans Les flamboyants d’Abidjan, à ceci près qu’il s’agit du récit d’un morceau de son enfance, sujet plus personnel, plus sensible. Plus difficile aussi à réussir, avec le risque de l’image d’Epinal ou, au contraire, du règlement de comptes. Les exemples abondent. Rien de tout cela, ici. En dépit d’une certaine effervescence politique - on est en 1978, pas si longtemps après l’indépendance de la Côte d’Ivoire, en 1960 -, d’un climat de violence larvée qui peut se déchaîner à tout moment ainsi que les années de la présidence Gbagbo le démontreront plus tard, de réflexes de l’époque coloniale encore présents chez trop d’"expats", on a l’impression que le petit Vincent, 8 ans à l’arrivée de la famille à Abidjan, y a vécu quelques années paradisiaques, en parfait "négrillon blanc".

Ses parents, père directeur de la filiale d’une entreprise de BTP, mère au foyer s’occupant de son fils et de sa fille et leur préparant une charlotte aux fruits inoubliable, étaient, semble-t-il, des gens bien, pas du tout conformes aux stéréotypes. Lui adorait l’Afrique. Elle avait plus de mal. Mais la maisonnée, avec ses trois domestiques, dont Emmanuel, plus Yvonne, parfaitement intégrés à la famille, a coulé des jours heureux. Vincent Hein, dans des chapitres courts qui prennent souvent la forme d’énumérations à la manière du "Je me souviens" de Perec, feuillette son carnet de souvenirs, avec ses vignettes collées, un peu jaunies mais aux couleurs encore vives. Les senteurs aussi, même celle de "la merde", ou celle "abjecte de la charogne". Heureusement, il y avait l’école, et la belle Giorgia Dibango, la fille du grand Manu, qui ignorera toujours superbement le petit toubab transi d’amour pour elle. La Librairie de France où se procurer les précieux livres. La nature, surtout, si "exotique", un goût que Vincent Hein assume pleinement, et le pays alentour, exploré à l’envi, dont Grand Bassam, la mythique ancienne capitale coloniale, abandonnée en 1899 pour cause de fièvre jaune.

Mais à la fin, le rêve se dissipe : Yvonne meurt, Emmanuel part faire sa vie en France, le père noie ses illusions perdues dans le whisky. Il est temps de boucler les malles, de partir "out of Africa". Et puis, bien plus tard, on écrira tout ça. Jean-Claude Perrier

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