19 février > Roman France

On avait, il y a dix ans, laissé Marguerite Bâ chez elle, à Villiers-le-Bel, dans ce pays, la France, où elle avait eu bien du mal à arriver pour venir sauver son petit-fils Michel, sur le point de faire des bêtises et de tourner voyou. Fin 2012, l'institutrice à la retraite, veuve de Balewell, issue de la lignée des Grandes Royales du Mali, décide rien de moins que de partir au secours de son pays natal, menacé d'explosion pour cause de rébellion islamiste dans le Nord.

Telle une nouvelle Jeanne d'Arc, elle embrigade avec elle Michel, rebaptisé Ismaël, ex-futur footballeur devenu musicien - joueur de balafon, il a même accompagné Oxmo Puccino -, c'est-à-dire griot, qu'elle bombarde son historiographe officiel. Dès qu'ils auront remis les pieds en Afrique, c'est lui qui racontera toute leur saga, avec un mélange d'affection et d'agacement pour son horripilante et mégalomane grand-mère, et pas mal d'humour.

A Bamako ("le marigot du caïman" en bambara), Madame Bâ, qui ne brille pas par sa modestie, entend être traitée comme une VIP, et son neveu Coulibaly, tout ministre qu'il est, a intérêt à obtempérer ! Elle interroge sur la situation un certain nombre de gens qui ont fui le Nord. Puis part chez elle, à Kela, au Sud, terre des plus grands griots du Mali, où Ismaël est initié officiellement. Ensuite le tandem, qui a la bougeotte, accepte une mission au Niger, dans des camps de réfugiés, avant de gagner le Sénégal pour le compte de l'ONG Ecole contre le désert. Là, Madame Bâ rend visite à son ami Amadou Toumani Touré, dit ATT, ancien militaire devenu président du Mali, qui a quitté le pouvoir de son plein gré après avoir rétabli la démocratie. Exemple rarissime en Afrique, ATT vit tranquille à Dakar. Madame Bâ vient l'écouter et lui demander conseil. Après quoi, par le fleuve Niger, elle regagne le Mali et se dirige enfin vers le Nord : Tombouctou, via Ségou et Mopti. Dans ses bagages, pire que de la dynamite : des patchs contraceptifs pour tenter de limiter le nombre d'enfants et donc réduire la pauvreté. Au passage, le professeur Erik Orsenna, par la bouche du jeune griot, nous explique que le nord du Mali ne s'est pas embrasé du jour au lendemain, et que la situation y était déjà explosive, bien avant l'invasion des fanatiques islamistes, destructeurs de tombeaux, de mosquées et de corans anciens, instaurateurs de la charia rigoureusement appliquée. Même Madame Bâ en fera les frais à un moment, arrêtée par une milice parce qu'elle avait rouvert une école.

Mais vient le 10 janvier 2013. Les soldats français, alertés par Madame Bâ, passent à l'offensive, et libèrent Tombouctou le 2 février. Elle rouvre son école, que visite François Hollande en personne. Madame Bâ devient une star. Mieux, une conseillère écoutée : le président l'emmène avec lui à Bamako, dans son avion privé. Ismaël n'en croit pas ses yeux. Mais le rêve sera de courte durée : Madame Bâ est trop insolente, trop directe, pas assez courtisane. On la laissera là, dans la capitale de son pays, dont les problèmes sont loin d'être réglés.

Grand amoureux de l'Afrique et griot lui-même, Erik Orsenna nous livre un romans à facettes dont il a le secret : une fable morale et optimiste avec des personnages hauts en couleur qui vivent des aventures drolatiques, un terrain parfaitement rendu grâce à une documentation de première main, puisque l'académicien-bourlingueur se rend lui-même sur place, une profonde empathie, et la volonté "pédagogique" de vouloir, à travers la littérature, éclairer la lanterne de ses (nombreux) lecteurs. Encore une fois, la gageure est pleinement réussie.

Jean-Claude Perrier

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