Livres Hebdo : Depuis vingt ans, Gallmeister maintient sa position dans le paysage éditorial. Aujourd'hui, la maison est même le 10e éditeur indépendant de littérature générale en France (classement GFK/Livres Hebdo 2023). Comment votre ligne éditoriale a-t-elle évolué ?
Oliver Gallmeister : Vingt ans, c'est à la fois beaucoup et peu. Durant ce temps, nous n'avons publié « que » 500 livres, dont 300 « Totem », notre collection de poche, et 200 auteurs contemporains. Nous avons toujours choisi nos livres avec intégrité et conservé une production très maîtrisée. Depuis son origine, notre ligne éditoriale est restée cohérente. Nous avons commencé avec le nature writing avant de nous étendre à la littérature américaine généraliste et à la littérature étrangère non américaine. Aujourd'hui, nous développons les classiques et, en fin d'année, nous ouvrons notre catalogue à la jeunesse.

En septembre dernier, vous donniez également le coup d'envoi de votre diffuseur Sequoia. En tant qu'éditeur, disposer de ses propres moyens de diffusion est-il la garantie de l'indépendance ?
Dans l'histoire de l'édition, il n'existe pas de maison qui a su garder son indépendance sans avoir sa propre diffusion. Et l'une des conditions de l'indépendance est d'abord l'indépendance financière. Il faut assumer vouloir vendre des livres et faire les efforts commerciaux qui vont de pair. Gérer sa propre représentation en librairie nécessite un très gros investissement. En plus de Sequoia, deux personnes de notre équipe sont chargées des relations libraires. C'est plus que certains groupes qui font 50 fois notre chiffre d'affaires ! Cela nous permet d'être proches des libraires. Ainsi, nous allons pouvoir présenter notre prochaine rentrée littéraire et nous rendre dans une vingtaine de villes.

Et quel bilan tirez-vous de cette nouvelle aventure éditoriale ?
2024 a été notre meilleure année historique. Nous avons dépassé la barre symbolique des 10 millions de chiffre d'affaires PPHT [prix public hors taxe] pour la première fois ! Je pense que notre présence en librairie n'est pas sans lien avec cette réussite. Nos flux se sont également assainis, nos taux de retours ont diminué. En étant plus proche de la librairie, je crois que l'on fait mieux notre métier.
« Créer une diffusion est une énorme prise de risque et un énorme investissement que nous n'avions pas les moyens de réaliser seul »
Pour y parvenir, vous avez impliqué Hachette, détenteur à 20 % de la filiale Sequoia et qui assure votre distribution.
Créer une diffusion est une énorme prise de risque et un énorme investissement que nous n'avions pas les moyens de réaliser seul. Pour cela, nous avons créé Sequoia, une filiale de la maison d'édition à laquelle Hachette est en effet associée à hauteur de 20 %. C'est précisément cela qui nous permet de conserver 100 % de la maison Gallmeister sans être limités dans notre développement. Aujourd'hui, cette nouvelle diffusion nous coûte beaucoup plus cher qu'une diffusion tierce, mais il s'agit d'un pari sur l'avenir et d'une volonté d'exercer vertueusement notre métier. À terme, cela devrait nous permettre de continuer à assainir nos flux et donc d'amortir progressivement le coût de la diffusion.

Au fil des années, vous avez également diversifié votre offre éditoriale. En 2023, vous lanciez « Litera », collection prestigieuse d'œuvres classiques. Est-ce une façon de vous imposer comme un éditeur de référence dans le domaine de la traduction ?
Gallmeister est la seule maison française à ne faire que de la traduction, mais le projet éditorial de la maison consiste avant tout à faire lire. Je suis convaincu que tout le monde peut lire Proust et que si tout le monde ne le fait pas, c'est que les éditeurs ne font pas assez bien leur métier. Avec « Litera », nous voulons montrer que les classiques ne sont pas réservés à une sorte de culture légitime. La qualité de la fabrication est la même que celle de la Pléiade, avec un papier qui ne jaunit pas, mais nos titres sont plus lisibles. Par ailleurs, beaucoup de traductions d'œuvres classiques ne sont pas correctes. Dans les autres traductions d'Anna Karénine, par exemple, il manque 15 % du texte intégral, soit une page et demie sur dix. Ce qui, sur l'ensemble du roman, représente plus de 280 pages. C'est délirant !

C'est aussi pour cette raison, rendre accessible vos ouvrages au plus grand nombre, que vous n'avez jamais souhaité faire de distinction entre littérature blanche et roman noir ?
En effet, comme nous le faisons chez « Totem », une autre des raisons de créer « Litera » était de casser les genres, qui enferment les auteurs dans les rayons des librairies et empêchent les lecteurs de s'y intéresser. Tom Sawyer, L'île au trésor, Sherlock Holmes ou Les frères Karamazov sont des classiques au même titre qu'Orgueil et préjugés. Ou bien faudrait-il mettre Dostoïevski au rayon Policier ?
Plus tôt, vous disiez que votre catalogue allait s'ouvrir à la jeunesse. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Il se trouve que Tiffany McDaniel, l'autrice de Betty, une des meilleures ventes de la maison (plus de 400 000 exemplaires écoulés), se lance dans la littérature jeunesse. Elle a fait paraître aux États-Unis le premier titre d'une saga en dix tomes intitulée The Wand Keepers. Nous ne pouvions pas ne pas le publier. Mais la jeunesse est un segment que je ne connais pas. Nous avons donc recruté une éditrice de talent, Barbara Bessat, passée par Bragelonne et Gallimard Jeunesse, et qui va travailler sur le middle-grade et le young adult. L'idée de cette collection, qui devrait accueillir une dizaine de titres par an, c'est encore une fois de créer des passerelles, donner envie aux gens de lire tout en continuant à proposer une littérature romanesque.
Et dans vingt ans, où sera Gallmeister ?
Dans vingt ans, j'aurai 75 ans. J'espère que la maison aura grandi, mais que j'aurai lâché la rampe et que je serai à la pêche !
La relève est donc déjà assurée ?
Un de mes enfants fait déjà partie de notre équipe. Les deux autres sont aussi intéressés, mais tous ont des personnalités très différentes. Et dans l'édition, le plus dur n'est pas d'exister ou de fonctionner, c'est de durer.