Pour un réseau amoureux. « La camaraderie, c'est d'abord de l'affect. L'oublier, c'est la transformer en idéal aussi creux qu'inatteignable. » Riche et dense biographie politique signée par les chercheurs Olga Bronnikova et Matthieu Renault, Kollontaï. Défaire la famille, refaire l'amour invite à se plonger dans le parcours politique et intellectuel d'une grande figure de la révolution de 1917 et du féminisme bolchevique. Alexandra Kollontaï, connue pour avoir été la première femme nommée dans un gouvernement et la première femme au monde officiellement ambassadrice, a aussi mené de profondes réflexions, plus confidentielles, sur l'égalité entre les hommes et les femmes, sur les mécanismes de la famille bourgeoise « à défaire ». Mais aussi sur les rapports intimes, sexuels et amoureux. Or ces réflexions, passées dans l'oubli puis réhabilitées dans les années post-68, retrouvent aujourd'hui une forte actualité.
L'essai prend pour point de départ une alliance avec Lénine sur la question de la participation des femmes ouvrières dans la révolution et des progrès qu'elles en ont tirés (accès au travail, au divorce, à l'avortement, égalité des salaires). Mais ce terrain d'entente a rapidement laissé place à quelques conflits. Qualifiées d'immorales et de scandaleuses, les réflexions d'Alexandra Kollontaï en matière de sexualité sont alors réduites à la « théorie du verre d'eau » qui lui est prêtée - « la satisfaction des besoins sexuels sera, dans la société communiste, aussi simple et sans plus d'importance que le fait de boire un verre d'eau » -, jugée « antimarxiste et antisociale » par Lénine qui aborda le sujet dans un échange épistolaire avec Clara Zetkin. Le féminisme était alors considéré comme une « morale bourgeoise » issue du XIXe siècle, et la « question sexuelle » qui occupe la jeunesse, perçue comme une « dépravation », « une extension du bordel bourgeois » qui épuise l'effort révolutionnaire.
Or Alexandra Kollontaï n'a jamais dissocié la lutte communiste de son combat pour l'émancipation des femmes. Et son idéal est de construire une « grande famille prolétarienne » sur le modèle de « l'amour-camaraderie », qui impose de défaire le modèle familial bourgeois construit sur la propriété et la monogamie. Ainsi développe-t-elle ce concept de l'amour-camaraderie, construit sur celui de l'amour libre (prêté à George Sand) qui ne saurait exister sans une « indépendance économique totale [des uns] envers [les autres] » ainsi qu'une « transformation radicale des rapports de production. » Finalement, pour Kollontaï, l'amour et la sexualité libres, le déplacement de ces questions de l'échelle individuelle à l'échelle collective, conduiraient à une forme aboutie et concrète de la révolution et de l'égalité entre les hommes et les femmes. « À la série de couples bourgeois fondés sur un rapport d'exclusivité et de possession, physique et spirituelle, est voué à se substituer un vaste réseau amoureux, érotique qui, tendanciellement, s'étendrait lui aussi à tout le collectif ouvrier. »
Kollontaï. Défaire la famille, refaire l'amour
la Fabrique
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 264 p
ISBN: 9782358722742