Entretiens/France 2 avril Maurice Olender

En 2017 Maurice Olender publiait Un fantôme dans la bibliothèque, un recueil de textes, dont le récit éponyme est sans doute ce qu'il a écrit de plus personnel. Dans cette brève « bio-fiction » sous forme de vrai faux conte de Noël, un enfant analphabète se promet de ne jamais lire « parce qu'il sent, sans pouvoir se le formuler, que si l'écriture alphabétique peut se transformer en chefs-d'œuvre de la littérature elle peut aussi servir à fabriquer de l'extermination quand des actes juridiques présentent un génocide ». L'enfant évidemment c'était lui.

Après des détours fort divers (cliveur de diamant, comédien), l'autodidacte, né en 1946 au sein d'une famille juive de Pologne établie à Anvers après la guerre, est devenu érudit. Maurice Olender est aujourd'hui reconnu comme un grand spécialiste des langues, philologue, archéologue, historien des origines de l'antisémitisme ou de la notion de « race » et éditeur notamment de « La librairie du XXIe siècle » au Seuil. C'est un polymathe façon homme de la Renaissance, ou jésuite polyglotte de l'âge baroque, mais à l'instar de grands savants qu'il a fait paraître dans sa collection, comme Jean-Pierre Vernant ou Pierre Vidal-Naquet, l'auteur des Langues du paradis a à la fois le nez dans les livres et les pieds sur terre. Que vaudrait une érudition sans quête de vérité ni projet humaniste ? Le fondateur de la revue Le genre humain scrute aussi bien le passé à la recherche d'indices qu'il observe les délétères phénomènes contemporains mettant en garde contre leurs dangers. Maurice Olender a préservé l'intuition de l'enfant de son « roman d'une page », travaille avec les mots tout en se méfiant de la violence qu'ils produisent. Ainsi avait-il lancé avec une quarantaine d'intellectuels un « Appel à la vigilance » paru dans Le Monde en 1993 qui affirmait le refus des signataires de collaborer à toute publication ou média en lien avéré avec l'extrême-droite. Dans Singulier pluriel : Conversations, l'intellectuel se livre à nouveau à travers une série d'entretiens menés au fil des ans par Pierre Nora, Laure Adler, Luc Dardenne, Catherine Millet, Olivier Renaut ou Maxime Decout. Y sont abordées ses lectures et rencontres marquantes : les deux historiens nommés plus haut, également les hellénistes Marcel Detienne et Nicole Loraux, le poète Yves Bonnefoy mais également Georges Dumézil et Léon Poliakov. « Ce sont eux qui m'ont "déniaisé", m'incitant à porter un regard intempestif, voire irrespectueux, sur les mondes et les modes académiques. » D'autres noms sont cités : Michel de Certeau et bien sûr Perec. L'auteur rappelle « l'alliance sémantique, en allemand comme en yiddish » entre penser et remercier, à travers la paronomase denken et danken. D'Auschwitz à la responsabilité des mots, de l'art contemporain à « l'archive signe des temps », tout en se confiant, il nous fait réfléchir. Grâces lui soient rendues.

Maurice Olender
Singulier pluriel : conversations
Seuil
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 19 euros ; 240 p.
ISBN: 9782021454475

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