Numérique jeunesse : état des lieux

"Il est difficile d’imposer une marque et d’habituer les gens à aller voir les nouvelles applications de cette marque dans l’App Store ou dans iTunes."Albin Quéru,Quelle histoire - Photo Olivier Dion

Numérique jeunesse : état des lieux

La crise économique a refroidi l’enthousiasme pour le numérique des éditeurs de jeunesse, qui peinent à trouver un modèle économique.

J’achète l’article 1.5 €

Par Claude Combet
avec Créé le 13.03.2015 à 00h34 ,
Mis à jour le 23.04.2015 à 10h06

Tous les acteurs du livre vont-ils investir sur le numérique pour que les enfants de demain retrouvent la qualité de la littérature pour la jeunesse d’aujourd’hui sur un support qu’ils auront obligatoirement ?" s’est interrogée Sylvie Vassallo, directrice du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil lors du colloque du Crilj sur "50 ans de littérature pour la jeunesse". La question est d’importance. Alors que les éditeurs pour la jeunesse se sont immergés dans le numérique avec entrain dans les années 2010-2012, les investissements marquent le pas depuis 2013 et la Foire du livre de jeunesse de Bologne n’y consacre plus qu’une master class. La crise économique est passée par là. Les éditeurs sont désormais frileux et hésitent à se lancer dans une production qui reste très coûteuse.

"Nous proposerons des abonnements au public parce que le paiement à l’acte ne fonctionne pas."Françoise Prêtre, La Souris qui raconte- Photo OLIVIER DION

Le bilan n’est pas négatif et les éditeurs louent l’interactivité et la richesse de la lecture numérique, "à la conception plus participative et plus collective", comme l’a souligné Sylvie Vassallo. Comme en littérature pour adultes, les romans pour la jeunesse sont désormais publiés simultanément dans les deux formats. Nombre d’éditeurs ont développé des applications comme Nathan, Gallimard Jeunesse (4 "Premières découvertes", 4 contes avec Noisy Crow), Naïve ou Usborne ont leurs applications, tandis que d’autres tels que Albin Michel ont adopté une stratégie "tout ePub" (voir encadré ci-contre). Des maisons uniquement numériques sont aussi apparues comme Quelle histoire éditions (30 applications sur des personnages historiques), e-Toiles, La Souris qui raconte, L’Apprimerie et les Editions volumiques.

Evolution perpétuelle

Mais les obstacles se dressent sur la route du numérique. Les technologies changent à la vitesse de l’éclair, comme les supports de lecture. Les réglementations sont difficiles à suivre et l’annonce que l’abonnement illimité, tel qu’il est pratiqué par les majors d’Internet, serait illégal a encore entamé les ardeurs. "Les évolutions technologiques, les plateformes changent tous les dix mois et nous devons adapter nos applications en permanence. Sans parler du référencement par Apple ou Amazon. Il est difficile d’imposer une marque et d’habituer les gens à aller voir les nouvelles applications de cette marque dans l’App Store ou dans iTunes", raconte le graphiste Albin Quéru, 27 ans, cofondateur de la start-up Quelle histoire. "Les applications et autres propositions de qualité se retrouvent noyées dans une production à la qualité discutable des grands acteurs mondiaux", renchérit Françoise Prêtre, fondatrice du site La Souris qui raconte, qui propose des histoires inédites. "Les tablettes et certains ordinateurs n’ont plus de lecteur CD, il faut pouvoir jouer directement sur le Net", précise Sophie Giraud, directrice d’Hélium, qui sort une nouvelle édition de Tip tap, mon imagier interactif d’Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, accompagné d’un site. Nathan a testé les flashcodes pour Comprendre comment ça marche… : la vie connectée, renvoyant à de petits films vidéo de Joël de Rosnay (en partenariat avec la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette). L’éditeur a aussi commercialisé la version numérique de Divergente, sur une carte vendue en librairie.

Mais le modèle économique n’est pas encore trouvé. "Le marché n’est pas mûr. Les gens ne savent pas encore ce qu’est le livre numérique, et par conséquent n’en achètent pas", souligne le consultant Terence Mosca, éditeur de la TotamBox. "Il faut aussi compter avec les habitudes des utilisateurs. Les gens n’aiment pas payer pour le Net et s’attendent à ce que tout soit gratuit", explique Albin Quéru, qui a vendu sa première application sur Napoléon à 5 000 exemplaires depuis 2011 et en a écoulé… 100 000 en téléchargement gratuit.

Innover pour survivre

"Les pure players disparaissent les uns après les autres. On leur demande d’investir dans un marché qu’on est en train de tuer, pronostique Terence Mosca. Il faut être dynamique à la fois dans l’offre et dans le modèle économique." Alors les éditeurs expérimentent. Terence Mosca s’apprête à lancer la TotamBox (des histoires sur abonnement) pour tablettes Kurio, commercialisées par Gulli et Fnac Kids. "Nous jouons notre dernière carte. Nous lançons une campagne de crowdfunding en avril pour sortir à la rentrée une collection d’applications pour smartphones pour les apprentis lecteurs de 6-7 ans, qui fonctionnent comme un jeu, pas chères (0,99 euro ou 1,99 euro), parce que nous sommes partis du principe que les parents passent leur téléphone aux enfants pour les occuper", annonce Claire Gervaise, fondatrice des éditions e-Toiles. Parallèlement, elle lancera en avril un format ePub, Le lapin bricoleur, illustré par Stéphane Kiehl et Michäel Leblond, aidé par le CNL et le SLPJ. "Pour l’instant, les abonnements des bibliothèques me sauvent. Nous sommes en train de refondre notre site et nous changeons de formule. Nous proposerons des abonnements au public parce que le paiement à l’acte ne fonctionne pas", déclare Françoise Prêtre.

Preuve de ces difficultés, Quelle histoire s’est mis à publier des livres papier en 2013. Ce mois-ci, il élargit aussi son offre avec des ebooks tirés des livres papier de son catalogue, moins interactifs que ses applications mais dans un format adapté aux tablettes, vendus 2,99 euros sur l’eBook Store. "Le côté créatif du numérique est génial, mais on n’a pas encore trouvé toutes les clés du business", conclut Albin Quéru.

Les dernières
actualités