Vaille que vaille, le bonhomme est toujours resté "free-lance", pour reprendre le titre de l'un de ses meilleurs livres. Pendant trois décennies, Philippe Garnier a gratifié la presse française d'articles qu'il décrit comme "excentriques, électriques, et insupportablement ramenards". Le Havrais établi de longue date à Los Angeles a touché à tout. Du moins au sport, au cinéma, à la musique et aux livres. Dans L'oreille d'un sourd, il a regroupé une solide sélection de son travail publié dans les pages de Rock & Folk, Libération, Les Inrockuptibles ou Vogue, avec l'idée d'en faire revivre les bons moments. En prenant soin de remettre les choses dans leur contexte, de lâcher quelques anecdotes savoureuses sur la manière dont il a opéré.
Philippe Garnier nous ramène au temps lointain où on tapait à la machine et où l'on postait ses papiers. Où on ne connaissait pas encore le fax et où on pouvait obtenir de la place. "La singularité du pigiste est sa seule richesse, son seul bagage, la seule raison pour laquelle les rédactions continuent de faire appel à lui. Si on lui casse les ailes, si on le réécrit systématiquement, cette originalité n'existe plus", martèle avec justesse celui qui affirme : "Ecrire est mon métier, le seul."
Qui d'autre que lui est capable d'évoquer avec autant de verve des salles de cinémas improbables, des bleds perdus, des réalisateurs et des écrivains oubliés ? Obsessionnel et tatillon, Garnier prise les digressions et les détails. Le voici qui se souvient de ses visites à Robert Littell, Sterling Hayden et Norman Lewis. Qui dégomme Faulkner, fait saliver la gent masculine avec ses éloges de Jill St John, la rousse en Bikini, ou de Linda Fiorentino, la garce géniale de The Last Seduction.
Au détour d'une page sur Joey Ramone, il se laisse même aller au portrait poignant, drôle et pudique de son père. L'ensemble compose un épais volume passionnant qui permet de mesurer une nouvelle fois combien son auteur a été un indispensable allumeur de feux.