La peau, la couleur de peau. C’est le fil rouge de cette réflexion sur le noir. On pense à Cheddar Man, cet homme qui vivait en Angleterre il y a dix mille ans. Une étude de l’ADN de son squelette a récemment révélé qu’il aurait eu les yeux bleus et la peau noire. Les Britanniques ont été troublés, preuve qu’il y a toujours un problème pour envisager l’autre, même lorsqu’il s’agit de nos ancêtres.
Les six conférences prononcées par Toni Morrison à l’université de Harvard en 2016 explorent ces notions de race et de pureté qui n’ont pas tout à fait disparu de notre inconscient. La romancière qui a reçu le prix Nobel en 1993 prend pour exemple la littérature qui "est manifestement et particulièrement révélatrice quand il s’agit d’exposer/d’envisager la définition de soi, qu’elle condamne ou étaie les moyens par lesquels on l’acquiert".
Dans ces petits essais, elle revient sur ses propres livres et donne quelques clés pour mieux comprendre Beloved (10/18, 2008). Elle relit aussi La case de l’oncle Tom, Flannery O’Connor, Faulkner, Hemingway ou Conrad. Elle montre les différentes façons dont ces auteurs utilisent la couleur de peau pour révéler un personnage, faire progresser le récit, surtout si le personnage principal est blanc.
Entre souvenirs, histoire de l’esclavage, politique américaine et littérature, Toni Morrison pose des questions sensibles. "Pourquoi voudrions-nous connaître un étranger quand il est plus facile d’aliéner quelqu’un d’autre ? Pourquoi voudrions-nous supprimer la distance quand nous pouvons supprimer l’accès ?"
Et elle donne des réponses sur ce travail psychologique de la fabrication de l’autre sans lequel il n’y a pas d’humanité. "Il n’existe pas d’étrangers. Il n’existe que des versions de nous-mêmes." L. L.