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Nicolas Beudon : "Nos usagers, une richesse à mobiliser"

Nicolas Beudon - Photo DR

Nicolas Beudon : "Nos usagers, une richesse à mobiliser"

Fervent promoteur du design thinking en France, Nicolas Beudon explique pourquoi et comment il a placé les usagers et la valorisation des savoirs au cœur du projet de la médiathèque Les 7 Lieux, qu'il dirige à Bayeux et qui ouvre samedi 2 février. _ par Véronique Heurtematte

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Par Véronique Heurtematte,
Créé le 04.02.2019 à 21h45

Valoriser les savoirs et les savoir-faire, quelle qu'en soit la source, et créer du lien entre les personnes : c'est le projet fondateur de la médiathèque Les 7 Lieux, qui ouvre samedi 2 février à Bayeux. Avec ce programme, ce bel équipement de 2 500 m2 rejoint les rangs de plus en plus fournis des établissements qui placent l'humain au cœur de leur activité, parmi lesquels la médiathèque Louise-Michel à Paris, la médiathèque-estaminet à Grenay ou encore la médiathèque entre Dore et Allier à Lezoux. Cette philosophie a des implications d'organisation. « Faire de la valorisation des savoirs et des savoir-faire un axe fort de notre projet nous a conduits par exemple à proposer des collections de documentaires plus importantes que le font habituellement les bibliothèques de lecture publique, plus axées sur la fiction, explique Nicolas Beudon. Nous avons mis l'accent sur la vie pratique, les loisirs créatifs. Cette orientation nous a aussi conduits à prêter, en plus des documents, des objets comme des instruments de musique, du matériel de loisirs créatifs, des télescopes ou des machines à coudre. Ce n'est pas inédit, mais nous allons le faire ici à plus grande échelle que ce qui se pratique ailleurs en France. »

Les 7 Lieux à Bayeux.- Photo STÉPHANE MARIE

Classer les livres comme en librairie

Le deuxième axe du projet est sa focalisation sur les usagers, qui a amené l'équipe à des choix forts. « Nous avons fait évoluer certains outils professionnels, confirme le directeur. Nous nous sommes par exemple affranchis des classements anciens et datés des bibliothèques pour une organisation plus actuelle. Nous avons abandonné la Dewey, mais à la différence des bibliothèques qui inventent leur propre plan, nous nous sommes inspirés des classements utilisés en librairie, qui correspondent à la production éditoriale contemporaine et à la manière dont les gens recherchent les livres qui les intéressent. Nous avons de grands univers avec des thématiques et des sous-classements très simples, par exemple loisirs créatifs, qui n'existent pas dans les classements traditionnels de bibliothèque, ou terrorisme, genre et sexualité, dans le domaine société. »

La médiathèque Les 7 Lieux s'est également beaucoup inspirée d'établissements en dehors du monde des bibliothèques pour imaginer son aménagement intérieur. La section jeunesse emprunte ainsi à l'univers de la cour d'école. On y trouve un grand mur en ardoise sur lequel on peut écrire. Un jeu de l'oie tracé au sol serpente entre les rayonnages. Dans l'équipe, des bibliothécaires ont été formés à l'INFL (Institut national de formation de la librairie) aux techniques de merchandising afin de mieux présenter les collections.

Très logiquement dans un projet de cette nature, les démarches participatives trouveront toute leur place. « Nous souhaitons valoriser tous les contenus, tous les savoirs, ceux qui sont dans les documents, mais également ceux qui se trouvent dans la tête des gens, explique Nicolas Beudon. Notre communauté d'usagers constitue une richesse à mobiliser. Nous nous sommes donné comme objectif de permettre aux gens de se connecter entre eux, pas seulement de mettre à disposition des ressources documentaires. Dans notre projet, cette volonté servira de fil conducteur aux démarches participatives. Les usagers seront invités à apporter leurs connaissances en animant un atelier, en apportant une réponse à un autre usager. Nous allons utiliser les réseaux d'échanges réciproques des savoirs, comme cela se fait par exemple à la médiathèque de Languidic, ou à celle de Lezoux. » L'équipe a notamment prévu de proposer chaque année à un groupe d'usagers de fabriquer une pièce du mobilier de la bibliothèque.

Design thinking

Malgré le temps très court dont il a disposé pour élaborer le projet d'établissement - à peine plus de deux ans entre sa prise de poste et l'ouverte de la bibliothèque -, Nicolas Beudon a tenu à organiser plusieurs séances de consultation participative des futurs usagers. Les adolescents, notamment, ont pu exprimer leur avis. « Le travail que nous avons fait avec les adolescents nous a davantage permis de valider ou de réfuter certains choix que nous avions faits, plutôt que de nous apporter des idées nouvelles. Par exemple, nous étions partis sur un choix de décoration avec du mobilier ancien relooké assez tendance et dont nous pensions qu'il plairait aux jeunes. Mais aucun des adolescents interrogés n'aimait. Ils préféraient quelque chose de très moderne. » Les méthodes de design thinking, de plus en plus fréquemment utilisées dans les bibliothèques françaises, suscitent néanmoins des réserves et des critiques de la part d'un certain nombre de professionnels.

Fervent promoteur des méthodes du design thinking, Nicolas Beudon comprend les critiques de certains observateurs, qui les trouvent démagogiques et soulignent que là où elles ont été appliquées, elles n'ont pas transromé le projet d'établissement. « C'est vrai que les très nombreux biblioremix qui ont été organisés en bibliothèque ces dernières années n'ont pas forcément débouché sur des projets concrets, admet-il. Mais la démarche nous apprend à raisonner autrement, à réfléchir collectivement, en -incluant les usagers à nos réflexions, et c'est déjà beaucoup. Le design thinking, c'est un ensemble d'outils tels que l'obser-vation, le test, l'élaboration de prototypes, qui permettent de tester concrètement des projets auprès des gens afin d'élaborer des services ou des espaces qui -répondent vraiment aux besoins des utilisateurs -auxquels ils sont destinés. Ce n'est rien de plus que cela. Ce n'est ni du marketing, ni une démarche de démocratie -participative. »

La médiathèque Les 7 Lieux sera largement ouverte, 48 heures par semaine du mardi au dimanche. Gérée par Bayeux Intercom, qui regroupe 36 communes et 30 000 habitants, dont 14 000 dans la ville-centre, elle est inaugurée dans un quasi-désert en termes d'équipements de lecture publique. Elle a prévu de construire sa dimension intercommunale par des actions hors les murs, avec notamment l'installation de bibliothèques éphémères dans différents sites répartis sur le territoire.

Les 7 Lieux en chiffres

8,5 m € : coût du projet

Architecte : Cabinet Serero

Surface : 2 500 m2

Budget : 70 000 euros pour les acquisitions et 40 000 euros pour l'action culturelle

Collections : 45 000 documents en accès libre, 30 000 documents courants en magasin, 40 000 documents dans le fonds patrimonial.

Ouverture : 48 heures hebdomadaires du mardi au dimanche.

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