Dans les salons de la Villa Albertine, sur la 5e avenue à New York - Photo DR
À New York, les éditeurs français et américains fêtent leurs retrouvailles
Le Bureau international de l’édition française (Bief), en partenariat avec la Villa Albertine et les services culturels de l’ambassade française aux États-Unis, a réuni plusieurs dizaines d’éditeurs français et américains pendant trois jours à New York lors du premier French-American Book Market. Les objectifs : recréer un lien affaibli après quelques années de mobilités empêchées, discuter sur l’état des deux marchés éditoriaux et, bien sûr, vendre des droits.
Par
Pierre Georges à New York. , Créé le
04.07.2023
à 17h00, Mis à jour le 10.07.2023 à 11h48
Quand 90 éditeurs américains rencontrent, avec une vue sublime sur Central Park, 45 responsables de droits français, cela donne de joyeuses (et studieuses) retrouvailles. Du 27 au 29 juin, le Bureau international de l’édition française (Bief), allié pour l’occasion aux services culturels de l’ambassade de France, organisait à New York, dans le prestigieux cadre de la Villa Albertine, son premier French-American Book Market. « Cela faisait très longtemps que l’on n'avait pas fait d’événement de cette ampleur à New York, et nous ne revenons pas du nombre d’inscrits. Il y a un vrai besoin à combler », résume Nicolas Roche, à la tête du Bief, saluant les deux cheffes de projets à l’origine de ces rencontres : Claire Mauguière et Laurence Risson.
Sur un marché américain toujours aussi difficile à pénétrer (les traductions ne représentant que 3 % de toutes les publications, 10 % d’entre elles venant du français), l’objectif était avant tout de retendre les liens entre éditeurs de part et d’autre de l’Atlantique. Pour la petite cinquantaine d’éditeurs français qui ont fait le déplacement, le séjour avait d’abord commencé, dans une ville où le secteur de la librairie peut être qualifié de sinistré, par la visite de bookshops new-yorkais emblématiques : Strand Bookstore sur la 12e rue, Europa à Union Square, la librairie du Center for Fiction à Brooklyn… Le temps était ensuite consacré à des tables rondes permettant aux professionnels américains et français d’échanger en toute transparence sur leur travail.
L’un des temps forts aura été une présentation croisée des marchés du livre audio américain et français, donnée par Michele Cobb, directrice de l’Audio Publishers Association, ainsi que Noa Rosen, en charge des acquisitions audio chez RBmedia,d’une part, et par Éric Marbeau, directeur des ventes numériques du groupe Madrigall, de l’autre.
Le marché des droits s'est tenu dans les salons de la Villa Albertine, mais aussi dans ceux du consulat français, à quelques mètres de là- Photo DR
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En la matière, les chiffres sont clairs : la croissance du marché ne faiblit pas sur le continent américain, enregistrant en 2022 sa 11e année de croissance à deux chiffres, en volume comme en revenus générés. Plus de la moitié de la population américaine de plus de 18 ans a déjà écouté un livre audio, d’après les chiffres donnés par Michele Cobb. « Depuis la pandémie, nous avons aussi observé une énorme augmentation des parents se tournant vers la lecture audio pour éloigner leurs enfants des écrans », s’est-elle réjouie, avant de revenir plus en détails sur les évolutions des genres, des outils utilisés pour l’écoute, mais aussi sur les différents modèles économiques utilisés par les opérateurs du marché américain. « Les célébrités américaines se sont beaucoup tournées dernièrement vers le livre audio, ce qui aide énormément le marché. Que ce soient des acteurs, pour poser leur voix sur des livres, ou des auteurs, pour que leurs livres soient publiés en audio », s’est aussi félicitée Michele Cobb.
Sur un marché français beaucoup plus restreint (80 millions d’euros en 2022 contre 1,8 milliard de dollars pour le marché US), Éric Marbeau a tout de même trouvé de nombreuses raisons de se réjouir. « Nous trouvons beaucoup de soutien auprès des libraires, de nouveaux modèles économiques se mettent en place, de nouveaux éditeurs se lancent sur le format chaque année, et les grands groupes investissent aussi ! », s’est félicité le représentant de Madrigall.
« Is it too French or not? »
Un autre échange marquant aura été une présentation d’expériences, réussies ou non, en matière d’achat de droits. Flore Gurrey, éditrice aux Arènes, a évoqué le succès américain de Mon Mari de Maud Ventura (L’Iconoclaste) mis en avant par Oprah Winfrey, le succès français des traductions des livres de Steven Pinker, mais a aussi cité des ouvrages vendus à des dizaines de milliers d’exemplaires aux États-Unis, et n’ayant pas dépassé les 300 copies en France…
Depuis le rooftop de la Villa Albertine- Photo VILLA ALBERTINE
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« En fait, les chiffres de vente ne nous intéressent pas vraiment ; certains livres dépassent le million d’exemplaires ici et n’ont aucun intérêt en France, et inversement. Le plus important, c’est de créer une connexion éditoriale avec un éditeur français, et quand c’est le cas, cela peut être extrêmement puissant », a de son côté exprimé Daniel Simon, fondateur de la maison new-yorkaise Seven Stories, éditant sur le marché US Annie Ernaux (depuis 1991) ou encore Edgar Morin, et travaillant plus globalement avec P.O.L, Odile Jacob ou encore La Découverte.
« C’est à nous de décider ce qui peut voyager ou non. Nous sommes les premiers lecteurs d’un livre, et évidemment, nous ne pouvons pas tout faire voyager. Les questions que je me pose systématiquement sont : “Is it too French or not?”, “Is it universal enough?” Dans tous les cas, et malgré les intuitions, les ventes de droits sont tellement imprévisibles… On a parfois l’impression qu’un livre est assez universel… et en fait, pas du tout ! », a expliqué Heidi Warneke, directrice des droits étrangers chez Grasset, revenant par exemple sur le succès aux États-Unis de La Carte postale d’Anne Berest.
«L’essentiel en matière d’échange de droits est de mieux se connaître, mieux connaître les histoires respectives de chaque maison, et se rencontrer le plus souvent possible, même si ce n’est pas facile car les Américains n’ont pas encore repris complètement le chemin des grandes foires internationales », a voulu résumer Fred Appel, éditeur aux Presses universitaires de Princeton.
Francfort en concentré
Est justement venu, après ces riches échanges, le temps des fameuses rencontres en one to one et du marché de droits à proprement parler, marché qui aura duré une après-midi puis une journée entière (voir liste des éditeurs français présents en encadré). Pour certaines éditrices, comme Nathalie Caume, directrice adjointe des jeunes éditions Récamier, il s’agissait surtout « de présenter la maison et son catalogue, lancer des perches et, espérons, avoir quelques touches, mais aussi de voir quelques agents qui eux sont du côté des vendeurs ». Du côté des Arènes et de l’Iconoclaste, on comptait beaucoup sur La Petite menteuse de Pascale Robert-Diard, quand Grasset venait présenter les classiques de la maison, surtout ses auteurs contemporains : Laurent Binet, Amin Maalouf, Virginie Despentes…« C’est un vrai Francfort en concentré ! », s’est réjoui l’éditeur américain Daniel Simon.
Photo DR
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Un cocktail à la Villa Albertine, pour célébrer les 40 ans (et les 1 800 contrats signés) de la French Publishers’ Agency, bras armé du Bief à New York, et il était déjà temps pour les organisateurs de tirer un premier bilan de ces rencontres. « La diversité des maisons représentées, aussi bien en termes de catégories d’ouvrages que de types de structures, grands groupes et maisons indépendantes, a permis de réunir un large panel d’éditeurs. J’ai le sentiment que les gens étaient heureux de se voir, et que l’événement était très attendu après plusieurs années de mobilités empêchées », se félicite Louise Quantin, à la tête du département Livre et débat d’idées de la Villa Albertine. Les éditeurs américains, eux, saluaient en chœur l’initiative, pour l’instant pas prise par d’autres pays.
« Mon ressenti : même si les Américains traduisent peu, l’enjeu reste très fort pour les éditeurs français. L’enseignement que nous en tirons : en arrivant de manière collective à New York, il y a un vrai pouvoir d’attraction du français, et le format rencontre fonctionne à merveille. Les compteurs étaient très au vert pendant trois jours à New York, et nous renouvellerons sans doute l’opération, peut-être de manière biennale », conclut Nicolas Roche. « On attend maintenant les retombées, en espérant un grand nombre de cessions ! », ajoute Louise Quantin.
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