Jeune auteur libérien installé aux Pays-Bas dont c'est le premier roman publié en France, Vamba Sherif a écrit un western ethnique situé dans un pays jamais nommé qui ressemble furieusement au sien. Wologizi est une cité-fantôme située aux confins d'un Etat où des bandes de miliciens surarmés sont prêtes à suivre aveuglément n'importe quel crétin de caporal Gamla ; les chefs coutumiers, tel ce vieux retors de Kapu, détiennent des pouvoirs irrationnels ; et la capitale, Monrovia, où règne le Vieil Homme, chef de guerre devenu dictateur, est bien lointaine et peine à imposer sa loi. C'est dire si, dans ce no man's land replié sur lui-même, l'arrivée d'un étranger fait sensation. Il est jeune, grand, super-sapé, se présente sous le nom de William Soko Mawolo, voyageur de passage, mais est en fait un agent du gouvernement, une espèce de barbouze envoyée pour mener une enquête sur la disparition de l'ancien chef coutumier, Tetese.
Mawolo incarne une certaine modernité africaine, face à un pouvoir ancestral animiste informel mais redoutable, car fondé sur la magie, la tradition, et surtout le non-dit. Le fonctionnaire va-t-il finir par découvrir tous les mensonges, toutes leurs filiations cachées, et quel rôle joue dans les coulisses la société secrète de Poro, une sorte de secte ? On finit, comme lui, par ne plus savoir qui est la fille ou le père de qui. Et si la supposée victime, Tetese, n'était pas finalement un sacré salaud dont on a bien fait de se débarrasser. Ce qui est très intéressant, aussi, et bien montré, c'est cette opposition entre le monde des hommes et celui des femmes, celui du jour et celui de la nuit où les mots que l'on a prononcés n'ont plus aucune valeur.
Borderland est un roman oppressant, au rythme lent et envoûtant, où il ne se passe pas grand-chose, à l'exception d'interrogatoires à sens unique et de palabres mensongères. Outre son intrigue, il offre l'intérêt de jeter un coup de projecteur sur le Liberia, dont les plaies de la guerre civile de 1989 semblent encore ne pas être cicatrisées.
