Le minimalisme en philosophie se caractérise par le respect minimal qu'on doit aux autres - ne pas leur nuire, point -, pour le reste, fais ce qu'il te plaît... Ruwen Ogien, philosophe analytique qui réfléchit sur les problèmes d'éthique, est de ceux-là : minimaliste, il n'est ni contre la prostitution, ni contre les mères porteuses, ni contre l'euthanasie... Autant de sujets qui fâchent les moralistes de tout crin, ces "maximalistes" qui au principe de non-nuisance ajoutent des devoirs moraux tels que celui de ne pas se nuire à soi-même, de développer ses talents naturels, de cultiver la pureté personnelle... Dans son dernier ouvrage, La guerre aux pauvres commence à l'école, il s'en prend à l'idée du ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, de restaurer l'enseignement de la morale à l'école. De la morale laïque : les valeurs de la République, plus concrètement : un catéchisme citoyen fustigeant les "incivilités" et qui remettrait tous nos élèves dans le droit chemin du vivre-ensemble.
Quoi de mieux que les vieilles recettes pour répondre à l'échec scolaire massif et au déclin de l'instruction ? Jules Ferry, en 1883, n'exhortait-il pas déjà les instituteurs dans une lettre leur étant adressée ? Le maître "en même temps qu'il apprend aux enfants à lire et à écrire, leur enseigne aussi ces règles élémentaires de la vie morale qui ne sont pas moins universellement acceptées que celles du langage et du calcul". Et d'expliciter : "Cette bonne et antique morale que nous avons reçue de nos pères et que nous nous honorons tous de suivre dans les relations de la vie sans nous mettre en peine d'en discuter les bases philosophiques." Si enseigner la morale va de soi pour le héraut de l'école laïque gratuite de la IIIe République, rien de moins sûr pour notre philosophe contemporain. En vérité, il ne faudrait pas que le moralisme de bon aloi (de gauche comme de droite, les sondés approuvent) se substituât aux vrais moyens donnés à l'école. Les jeunes de banlieues défavorisées - c'est en vérité à eux que s'adresse cette morale laïciste - ne décrochent-ils pas parce qu'ils sentent que la République et ses enseignements n'effacent pas les injustices sociales et les mèneront nulle part sinon vers une voie de garage ?
Outre le "caractère totalitaire" de ces cours qui entendent édicter des maximes morales sur les moindres détails de la vie des enfants : hygiène, égalité des sexes, distinction entre le vrai et le faux, valorisation du travail..., ce que critique vraiment Ruwen Ogien, c'est le fond - "la naïveté épistémique". La "morale laïque" n'équivaut pas uniquement à cette vision kantienne qui met au coeur de la morale l'action et l'intention. Il existe aussi une philosophie des conséquences, utilitariste, qui constitue aussi bien une morale laïque (Stuart Mill, Rawls). Si c'est à l'Etat de se préoccuper de justice, il doit "éviter de chercher à promouvoir un certain idéal de la vie bonne, fût-ce celui de l'autonomie". En matière de vertu : ne pas faire la leçon.