Le passé réconcilié. Figurant dans la collection « Traits et portraits » qui abrite des autobiographies illustrées de quelques documents, ce livre a été, selon le propre aveu de Nathacha Appanah, long et compliqué à écrire. L'autrice a voulu se montrer d'une rigueur et d'une totale honnêteté dans le récit du parcours de sa famille, de ses grands-parents paternels surtout, qui se sont occupés d'elle, l'ont impressionnée, comme façonnée, peut-être plus que ses propres parents.
Sa grand-mère, une toute petite bonne femme d'une folle énergie, très croyante voire mystique, est morte en 1996. Son grand-père, un homme au caractère bien trempé, devenu un paria, emprisonné un temps pour avoir frappé un contremaître qui l'avait injustement accusé, contraint de déménager, connaissant la gêne avant de construire sa grande maison et de devenir épicier tabagiste, est mort en 2007, à 96 ans. Tous deux étaient Mauriciens, ont passé leurs vies entre le domaine sucrier d'Antoinette, la plantation de Camp Chevreau (d'où ils avaient été chassés), puis la maison de Piton, où sont nés leurs enfants (sept ont vécu), et Nathacha elle-même.
Cette famille, comme nombre aux Antilles, à La Réunion et à l'île Maurice, descendait de ce que l'on appelait autrefois des coolies, des travailleurs indiens « engagés » libres mais aussi mal traités que les esclaves affranchis qu'ils allaient remplacer dans les plantations des colons blancs, français, anglais, néerlandais et portugais. La pratique a duré de 1832 à 1920.
Dans son tout premier livre, son entrée remarquée en littérature, Les rochers de poudre d'or (Gallimard, 2003), Nathacha Appanah avait déjà tenté de retracer cette histoire, mais de manière imprécise, reconnaît-elle aujourd'hui, « embellie », « délavée ». Vingt ans plus tard, elle livre enfin la version authentique et, semble-t-il, complète, telle qu'elle a pu la rassembler, la reconstituer, mais non sans réticences de part et d'autre. Chez les siens comme chez elle. On apprend donc que ce sont ses trisaïeuls hindous, un couple et ses trois enfants (deux s'étant d'ailleurs perdus dans leur débarquement à Port-Louis, la capitale de l'île alors anglaise) qui sont arrivés à Maurice le 1er août 1872. Ils arrivaient du village de Rangapalle, non loin de Visakhapatnam, deuxième ville de l'Andhra Pradesh, État du sud de l'Inde, sur la mer du Bengale. Ils avaient dû gagner Madras à pied pour s'embarquer, sans retour.
Leurs descendants entretiennent un rapport gêné avec Bharat Mata (« la mère Inde »). Le grand-père y est allé une fois et n'a pas supporté. Nathacha elle-même une fois également, et ne semble pas désireuse d'y retourner, d'aller chercher elle-même ses racines. Elle préfère se fier aux documents retrouvés dans les archives des « engagés », à Institut Mahatma Gandhi de Moka (454 000 fiches, 175 000 photos), terribles dans leur prosaïsme : ses trisaïeuls s'appelaient 358444 et 358445, leur fils 358448. Ça fait froid dans le dos.
Aujourd'hui, Nathacha Appanah est réconciliée avec le passé, la boucle bouclée, et elle triomphera peut-être un jour de son appréhension de l'Inde.
La mémoire délavée
Mercure de France
Tirage: 15 000 ex.
Prix: 17.50 € ; 160 p.
ISBN: 9782715260269