Avant-critique Manga

Jeunesse éternelle. Ils ont traversé les siècles et ils ont pourtant l'apparence de gracieux adolescents. Edgar et Marybelle Portsnell sont des « vampanella », des vampires qui se nourrissent de soupe à la rose et qui n'ont besoin que d'un peu de sang de temps en temps pour conserver leur énergie. Enfants illégitimes d'un comte (humain), ils vivent avec leurs parents adoptifs, des vampanella qui ont fait d'eux des êtres immortels, éternellement jeunes. Pour éviter les questionnements des humains qui, intrigués de ne pas les voir vieillir, pourraient deviner leur vraie nature, ils doivent déménager tous les deux ans. S'adapter à un nouvel environnement, revivre sans cesse les tourments de la jeunesse. Leurs amitiés ne peuvent être que précaires, ils ne peuvent pas tomber amoureux, ou alors au prix de grands chagrins. Ce sont les souffrances répétées de ces deux jeunes gens, leur passé douloureux et leur indéfectible lien que Moto Hagio explore dans les différents récits du Clan des Poe.

Inaugurant la collection « Héritages » d'Akata dédiée au patrimoine manga, ce premier volume présente les débuts de la série, des histoires parues entre 1972 et 1975. Moto Hagio a alors une vingtaine d'années. Avec les autrices du Groupe de l'An 24 (référence à leur année de naissance, 1949, an 24 de l'ère Showa), dont Riyoko Ikeda (La rose de Versailles), elle va révolutionner le shojo (manga pour jeunes filles). Moto Hagio l'amène vers la SF et le fantastique, et apporte au dessin une maturité héritée de Tezuka et un romantisme inspiré de Macoto Takahashi. Multi-récompensée au Japon, son œuvre a été peu traduite en français. C'est donc un véritable bonheur que de pouvoir enfin découvrir ce classique.

Dans Le clan des Poe, le dessin aérien de Moto Hagio et sa mise en page gracieuse confèrent au récit mouvement et légèreté. Aux antipodes de l'habituelle imagerie gothique des récits de vampire, l'esthétique de Moto Hagio souligne finement la mélancolie d'Edgar et Marybelle, piégés dans leur adolescence sans fin. L'autrice explique d'ailleurs dans la préface qu'elle a voulu se « focaliser sur la beauté des personnages, non sur leur dimension répulsive de prédateurs ». Ces êtres élégants et torturés permettent à Moto Hagio d'aborder des thèmes forts (la solitude, l'amour empêché, la culpabilité, les secrets de famille, l'amitié, les questionnements de l'adolescence), voire d'avant-garde pour l'époque, comme l'identité sexuelle et l'homoparentalité. Dans la lignée du Vampire de John Polidori (1819) et quelques années avant Anne Rice, Moto Hagio popularise le vampire sensible, passionné, tourmenté, en un mot, romantique.

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