Le Maître est Marguerite est considéré comme le texte testemment de Mikhaïl Boulgakov
Moscou la dévorante avec Mikhaïl Boulgakov
(Re)découvrir une librairie atypique, une bibliothèque historique ou l’histoire littéraire et culturelle d’une ville ou d’un pays ? Chaque samedi, Livres Hebdo vous emmène dans une destination, loin des radieuses calanques ou des rouleaux de l’Atlantique, en compagnie d’un de ses auteurs ou artistes emblématiques.
"Lecteur – suis moi !", incite, avec passion, Mikhaïl Boulgakov. En robe de chambre, enfermé dans son cabinet de travail, l’écrivain met un point final à la première partie de Maître et Marguerite. Tourbillonnante et fantasmagorique, cette réécriture du mythe de Faust, s’engouffre dans les rues étouffantes du Moscou des années 20. Un voyage à l’allure foudroyante imaginé par un auteur qui terminera sa vie alité.
Ogresse
Ville nocturne sous la plume de Mikhaïl Boulgakov, Moscou apparaît comme une "débauche de lumière électrique". Cette gigantesque boule à facettes rappelle la poussée démographique qu’a connue la capitale dans les années 20. Bien que se relevant difficilement de la guerre, la ville double sa population en six ans. La vie folle renaît alors, assourdissante et organique, toujours liquide et insaisissable : "Sur les trottoirs, [Marguerite] voyait s’écouler des fleuves de casquettes. Par endroit, des ruisseaux s’en détachaient pour aller se perdre dans les antres flamboyants des magasins ouverts la nuit".
Quartier de l'étang du Patriarche où le trolleybus démarre sa course- Photo A.SAVIN
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Pour saisir le bouillonnement de la ville, l’auteur embarque son lecteur vers la Porte Nikitsky à bord d’un trolleybus. Mais, tout va vite sur la "banquette élastique". Rue du Patriarche, rue Herzen, rue Kropotkine, place de l’Arbat, rue Ostojenka… les paysages urbains défilent et donnent le tournis. Une impression d’étouffement amplifiée par le tintamarre des chaînes de camions sur les routes et des opéras hurlés à tout va.
De toutes les fenêtres, de toutes les portes, de tous les porches, des toits, des greniers, des sous-sols et des cours s’échappait, avec des rugissements graillonneux, la polonaise de l’opéra Eugène Onéguine.
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L’envol
Face à la ville démesurée qui absorbe ses habitants l’auteur ne voit qu’une solution : celle de s’envoler et de se libérer de la foule envahissante. D’en haut, la ville devient moins asphyxiante. La "débauche de lumière" prend les traits d’un "lac clignotant".
En un mot, on sentait que Moscou était là, tout près, et que juste après le prochain tournant, elle allait vous tomber dessus et vous avaler.
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Cette nécessité qu’a Mikhaïl Boulgakov de s’extraire de Moscou est un témoignage précieux du regard qu’il portait sur la vie de la ville. L’appartement n°302 bis de la rue Sadovaïa est en réalité le sien, situé au n°10 de cette même rue. Il l'a modifié pour dénoncer la complexité de l'administration soviétique en son temps. L’intelligentia, dont il est question durant le roman, faisait également partie de son cercle privé. Peu après la publication de sa deuxième pièce, elle l’en a banni l'auteur, l’excluant de toute l’effervescence culturelle que pouvait apporter le Moscou des années 20.
Facade du 10 rue Sadovaïa, N°302 bis dans le livre
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Privé de ceux avec qui il aimait tant partager, Mikhaïl Boulgakov a vécu durant une grande partie de sa vie à travers la littérature et l’écriture transformant, selon son ami Sergueï Ermolinski, "ce qui est coutumier et réel en une farce tragique et fabuleuse". Il en fera ce livre, Le maître et Marguerite, une satire de la vie moscovite d'où perce la liberté et l'amour.
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