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Mon repré à moi

Sylvie Gilhodes, représentante chez Harmonia Mundi Livres, et Sylvie Loriquer, de la librairie L’Attrape-cœurs à Paris. - Photo O. Dion

Mon repré à moi

Toujours plus soumis à la pression des stocks, du temps et du nombre de nouveautés, le libraire attend de son représentant qu’il se montre concis, précis, qu’il individualise ses propositions et l’accompagne dans le pilotage de ses achats. Une mutation en profondeur pour une profession dont les troupes peinent à se renouveler.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 27.03.2014 à 19h43 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 10h23

Au tournant des années 2000, avec l’arrivée des nouvelles technologies, on évoquait, ici ou là, sa disparition. Dix ans plus tard, le représentant constitue, pour la majorité des libraires, l’un des maillons incontournables de la chaîne du livre, dont ils ne sauraient faire l’économie. Mais dont ils exigent désormais, sous la double pression du contexte économique et de la concurrence de la vente en ligne, qui a placé la gestion au cœur des préoccupations, de nouvelles compétences. "Déjà au croisement de deux réalités différentes, celle des éditeurs et celles des libraires, ce qui nécessite une bonne dose de psychologie, nous leur demandons maintenant d’avoir une analyse fine des besoins de chacun et de nous apporter des informations de plus en plus riches et à la carte", note Sylvie Loriquer, qui dirige les deux librairies parisiennes L’Attrape-cœurs.

Comme ils s’efforcent de connaître leurs propres clients, les libraires, dans un bel ensemble, attendent en effet de leurs commerciaux qu’ils appréhendent au plus près leurs spécificités : environnement économique et social, taille, emplacement, points forts, public, ligne éditoriale, projet culturel et commercial. Une connaissance intime qui doit notamment se traduire dans le travail des nouveautés. "Aujourd’hui, un représentant ne peut plus être un simple présentateur d’offices qui s’en tiendrait à lire partout et de la même façon son prompteur. Ce n’est plus suffisant », constate Vincent Chevalier, qui représente les éditions Gallimard pour le nord-ouest de la France. L’information doit donc être précise et concise, mais surtout priorisée et ciblée. "Ma librairie a ses tendances et ses particularités, explique Raphaël Naklé, du Détour à Granville. J’attends d’un commercial qu’il fasse des choix dans son catalogue en fonction de ces critères et qu’il soit capable, sur un programme de 50 nouveautés, de me sortir 10 livres essentiels, 10 autres où l’on peut passer plus vite et deux à trois coups de cœur, pas plus, sinon cela n’a plus de sens. Il doit également savoir argumenter ses quantités. Ainsi la prise de risque à l’achat est mieux gérée."

Ce besoin engendre, de fait, une nouvelle philosophie chez les représentants. "On n’aborde plus de la même façon les mises en place. Il s’agit maintenant de proposer le bon livre au bon endroit", analyse Erwan Bazin, représentant Flammarion pour le Grand Ouest. Véritable travail de dentelle, réalisé avec une précision d’orfèvre et qui demande beaucoup de temps de préparation, cette individualisation des nouveautés doit permettre d’aller à l’essentiel et de contribuer à résoudre l’injonction paradoxale propre à la chaîne du livre et qui veut que, dans un temps toujours plus réduit, le représentant aborde, outre les nouvelles parutions dont le nombre ne cesse d’augmenter, le réassort et le fonds, un des leviers sur lesquels la librairie indépendante mise pour se démarquer du reste de la concurrence.

 

Accompagnement commercial.

Mais plus encore, pour piloter au plus près leurs ventes et générer davantage de chiffre avec les livres qu’ils ont choisi de mettre sur table, les libraires comptent sur la réactivité de leurs représentants, à même de leur fournir des informations qui dépassent le contenu strict du livre. Alerte sur un passage dans une émission prescriptrice ou sur un décollage des ventes, sur la commémoration d’un auteur ou d’un événement, "les libraires n’ont plus le temps de mettre en place dans le détail cette veille. Nous devons donc y suppléer et, de manière très réactive donc parfois à distance, parvenir à lier notre catalogue à l’actualité pour les faire réagir commercialement", précise Vincent Chevalier.

 

Parallèlement, la demande en outils commerciaux et de gestion se fait de plus en plus prégnante. Au Détour, l’activité repose en grande partie sur le fonds dont la largeur et la profondeur varient en fonction de la fréquentation, donc des saisons. Pour pousser ses piles, plus importantes en été qu’en hiver, et rentabiliser au maximum ses commandes de fonds qui concernent des livres à rotation lente et qu’il implante une à deux fois par an, Raphaël Naklé a donc besoin d’un accompagnement en conditions commerciales, échéances et surremises. "C’est vital pour ma librairie. Logiquement, je vais là où les représentants se montrent les plus commerçants pour que, finalement, chacun y gagne."

Les libraires se montrent également de plus en plus avides d’outils d’aide au pilotage de leur entreprise. "Nous avons besoin d’interlocuteurs qui soient capables de nous donner une visibilité sur la rentabilité de nos fonds et sur notre CA à l’année", pointe Valérie Hanich, qui dirige avec son compagnon la librairie Le Failler à Rennes. Ce qui nécessite donc de parler chiffres. CA réalisé, situation globale, achats pour le mois en cours et lissés sur l’année, taux de réassort et de retour, dégressifs des meilleures ventes chez le libraire et chez l’éditeur, part des nouveautés et du fonds dans le CA total s’invitent régulièrement dans les rendez-vous, permettant aux libraires de se positionner par rapport au marché et à leur concurrence. Anne Martelle, qui codirige avec sa sœur la librairie qui porte son nom à Amiens, y voit aussi la possibilité "d’avoir la main sur la gestion des remises et de disposer d’arguments étayés s’il y a renégociation".

 

L’économie des librairies.

Contrainte il y a encore quelques années, cette démarche est désormais, tout au moins pour le premier niveau, passée dans les mœurs qui régissent les relations entre libraires et représentants, facilitée par le développement des bases de données des diffuseurs. Cependant, au goût des libraires, tous leurs interlocuteurs ne l’exploitent pas au même degré. "Ces points chiffrés doivent dépasser le constat et donner naissance à des propositions d’actions pour améliorer nos points faibles et valoriser nos atouts, analyse Valérie Hanich. C’est dans la force de proposition que réside le partenariat avec le représentant, mais ce n’est pas encore systématique." Un décalage qui s’explique, selon Erwan Bazin, par deux facteurs. "Nous disposons de formations, mais maîtriser les outils pour les exploiter pleinement nécessite du temps et une appétence pour l’informatique que n’ont pas forcément tous les représentants."

 

L’autre point faible réside dans la connaissance trop souvent insuffisante qu’ont les représentants du fonctionnement économique d’une librairie, de sa trésorerie et de sa marge. "On a parfois envie de les envoyer faire une formation complémentaire à l’INFL, ce qui éviterait certaines incompréhensions", soupire Anne Martelle. Consciente que la taille de sa librairie et que son mandat électif au SLF lui accorde une oreille plus attentive de la part des représentants, elle plaide également pour que "les éditeurs et les diffuseurs sensibilisent davantage leurs équipes aux problématiques des librairies de moindre importance". Non-visites des représentants, informations parcellaires et non adaptées, manque de connaissance des catalogues, offices démesurés, les reproches se font en effet beaucoup plus vifs dans les structures intégrées en second niveau. "Or, ces librairies ont souvent du potentiel et ce sont justement elles qui devraient être soutenues et accompagnées dans le développement de leur chiffre", déplore Anaïs Massola, qui a choisi comme solution de batailler pour classer son Rideau rouge (Paris) en premier niveau.

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