5 mai > Roman France

"Avec leurs yeux, leurs oreilles et leurs flashs, les journalistes boivent les paroles de Mister. Il veut des adversaires perdus dans un rêve trop enfumé. Comment faire comprendre à ses joueurs qu’il faut créer des marécages avec leurs épaules, des jungles avec leurs jambes, des déserts avec leurs bras et leur regard ?"

En Italie, chez les footballeurs, professionnels comme amateurs, le "Mister", c’est l’entraîneur d’une équipe. Un nom qui colporte sa part de respect, de messianisme, et qui pourrait aussi s’orthographier "mystère"… Un nom tellement plus riche de sens que le vulgaire "coach" appliqué au reste de la planète footballistique.

Ce Mister-là, qui donne son titre à ce troisième roman d’Elsa Boyer (après les remarqués et joliment étranges Holly Louis et Heures creuses, P.O.L, 2012 et 2013), a déjà tout gagné et puis tout perdu, ainsi qu’il sied à son secteur d’activité. C’est une légende incomprise, une étoile lointaine dont on ne peut savoir si la lumière qu’elle diffuse est déjà celle d’un astre mort. Il touche le fond autant que l’essentiel et laisse exsangues et fascinés tous ceux qui l’approchent, journalistes, joueurs, dirigeants et le misérable tas de complotistes réunis sous l’appellation générique de "staff"… Mister n’en a cure. Toujours, il est ailleurs. Au plus près de sa vérité. Au plus près de sa chute, du cœur nucléaire de ce qui pourrait être son destin : l’argent et les corps en allés.

Voilà longtemps que le football, sa beauté profane et dévoyée, n’avait pas fourni à la littérature un tel chant poétique. Si l’on excepte le sublime Un sacrifice italien, d’Alberto Garlini (Christian Bourgois, 2008), jamais, en fait. Elsa Boyer, dont les premiers livres disaient assez le goût des formes impures, réussit cette gageure en ne la tenant pas comme telle. Le football chez elle est beaucoup plus que le football. C’est un rien où tout se révèle. Le site de son éditeur nous apprend qu’elle a soutenu une thèse en philosophie sur la perception artificielle. C’est exactement cela. Dans ce Mister, l’artificiel paraît flirter avec les plus intrigantes profondeurs. Olivier Mony

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