Rentrée d'hiver 2022

Michel Zink, « Tristan et Iseut. Un remède à l'amour » (Stock) : L'amour flou

Michel ZINK a Paris a l'Institut de France le 8 mars 2021 - Photo © Ph. Matsas/Stock

Michel Zink, « Tristan et Iseut. Un remède à l'amour » (Stock) : L'amour flou

Dans un essai érudit et malin, Michel Zink se penche sur l'une des légendes les plus fameuses : Tristan et Iseut. Tirage à 3500 exemplaires.

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Par Laurent Lemire
Créé le 04.02.2022 à 17h40 ,
Mis à jour le 18.02.2022 à 14h57

Les légendes enrichissent le monde. Encore faut-il savoir les lire. C'est le sujet de l'essai érudit et mutin de Michel Zink sur Tristan et Iseut. La littérature médiévale n'a pas de secret pour cet académicien, professeur émérite au Collège de France, à qui l'on doit des travaux et des éditions de référence.

En premier lieu, Tristan n'était pas « triste » comme voudrait le faire croire une étymologie un peu rapide. Le nom vient simplement du gaélique Drys-tram. Ensuite, cette grande histoire d'amour qu'on pourrait trouver ennuyeuse par son excès de romantisme − ils s'aiment, et alors ? − s'apparente, quand on la regarde d'un peu plus près, à un jeu de dupes, surtout pour le mari, le roi Marc. Au château de Tintagel, la morale n'est pas sauve. La potion absorbée par les « deux amants inquiétants du Moyen Âge » a bon dos, à tel point que des auteurs vont s'atteler à la rendre plus présentable, à commencer par Marie de France qui, dans un de ses lais, envisage cette relation comme une illustration de la fin'amor. Au XIIe siècle, Chrétien de Troyes est gêné aux entournures de la morale avec cette histoire de philtre. Il tord donc le cou aux ambiguïtés en ne traitant pas véritablement le sujet et en le travestissant avec les habits plus présentables de l'amour courtois. Dante, lui, ne s'embarrassera pas de ces subtilités en envoyant Tristan directement en enfer. Le caractère subversif, sur fond d'adultère, de cette histoire explique le fait qu'elle aurait été bien moins copiée que d'autres durant la période médiévale, Iseut restant l'épouse de Marc et Tristan son amant. De plus, l'usage du philtre laisse entrevoir l'amour comme un dérèglement des sens, voire une maladie provoquée par un agent extérieur hallucinogène. Mais, nous dit Michel Zink, c'est peut-être pour cela qu'il fascine toujours. « Si on a pu voir dans l'amour de Tristan et Iseut un modèle de l'amour, c'est parce qu'il n'est pas un amour modèle. » Nous sommes donc bien loin d'un mythe soporifique avec ces deux drogués à la passion.

Outre la fascinante plongée dans les œuvres et les versions d'une légende sans cesse recomposée, l'exploration de Michel Zink a le grand mérite de nous dire quelque chose d'important sur nos relations d'aujourd'hui où les histoires d'amour se vivent sans philtre et sans filtre. « Aller chercher jusqu'au bout du monde une jeune fille identifiée par un seul cheveu blond dans le bec d'une hirondelle, est-ce beaucoup plus déraisonnable que de se fier à une photo trouvée sur Facebook ? » En posant la question, nous avons déjà un semblant de réponse. En fin de compte, celui qui a le mieux exploité ce filon, c'est Richard Wagner. Alors qu'il vivait une intense histoire d'amour, il compose ce chef-d'œuvre qu'est -Tristan et Isolde, un opéra qui se veut un cri en trois actes, une déchirure profonde. D'où cette conclusion de Michel Zink. « Les règles de l'amour ont changé, mais son angoisse et sa folie demeurent. » On serait tenté d'ajouter, et c'est bien ce que démontre son livre, heureusement.

Michel Zink
Tristan et Iseut. Un remède à l'amour
Stock
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 18,50 € ; 198 p.
ISBN: 9782234091405

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