Entretien

Michel Bussi : « Mon succès est arrivé à 50 ans, trop tard pour me monter à la tête »

Michel Bussi - Photo Olivier Dion

Michel Bussi : « Mon succès est arrivé à 50 ans, trop tard pour me monter à la tête »

Alors que paraît le 10 octobre son nouveau roman Les assassins de l'aube (Presses de la Cité), Michel Bussi s'est confié dans un long entretien à Livres Hebdo sur son travail d'écrivain.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 27.09.2024 à 17h44

Michel Bussi est normand. Né à Louviers (Eure) en 1965, il a fait toute sa vie à Rouen (Seine-Maritime). Michel Bussi est géographe, spécialisé en géopolitique électorale, matière qu’il a enseignée à l’Université de Rouen et au CNRS, jusqu’en 2016. Michel Bussi est auteur, depuis 2007, à succès depuis 2011, de polars « à la française » qui font de lui l’un de nos écrivains les plus vendus dans l’Hexagone et à l’étranger. Michel Bussi est également un homme discret, qui se tient éloigné du milieu littéraire parisien, à qui il préfère le contact direct avec ses lecteurs. Pour Livres Hebdo, il a accepté de révéler quelques-uns de ses « mystères ».

 

Livres Hebdo : Quand on consulte votre dossier de presse, abondant et chic, revient souvent, à votre propos, l’épithète « mystérieux ». Y a-t-il un mystère Michel Bussi, et lequel ?

Michel Bussi : Le mystère, c’est qu’il n’y en a pas ! Les auteurs de polars n’écrivent pas, en général, sur leur propre vie, préférant inventer des histoires. Pour ma part, je suis très peu présent sur les réseaux sociaux, je ne passe pas mon temps à poster des photos de mes enfants ou de mes vacances.

À l’origine, vous êtes géographe, et vous n’êtes venu à la littérature que « sur le tard ».

En effet. Mon métier, c’était, jusqu’en 2016, d’enseigner la géographie à l’Université de Rouen. J’étais un vrai universitaire, pas un « dilettante ». J’ai publié pas mal d’ouvrages scientifiques, dirigé un laboratoire au CNRS, été président du Conseil national des universités… Ma spécialité, c’est la géopolitique électorale, avec analyses des cartes, afin de percer l’anonymat du vote des Français. Ça se rapproche un peu du travail des instituts de sondage, et des analystes politiques. C’est passionnant, surtout en ce moment où l’on vote souvent !

« Ce n’est pas le fait d’écrire des romans qui m’a distingué, mais celui d'avoir du succès »

Votre carrière d’écrivain a-t-elle été facile à concilier avec celle d’universitaire ?

Ce n’est pas le fait d’écrire des romans qui m’a distingué. De nombreux universitaires le font. Mais celui d’avoir du succès, de faire des best-sellers. Cela me changeait de mes ouvrages scientifiques, lus par 300 personnes ! En France, le statut d’intellectuel est encore souvent opposé à la culture populaire. Mais mon succès est arrivé sur le tard, à 50 ans, trop tard pour me monter à la tête. Je ne me suis jamais senti illégitime nulle part.

Vous auriez pu prendre un pseudonyme, comme le font, par exemple, certains diplomates ?

Si j’avais su, au départ, que j’aurais un tel succès, je l’aurais sûrement fait.

Est-ce parce que vous êtes géographe que vos livres sont très ancrés dans un territoire, à l’origine votre Normandie natale, ou bien la Guadeloupe dans votre nouveau roman, Les assassins de l’aube ?

Sans doute. J’effectue toujours en amont un travail documentaire, qui disparaît, j’espère, au profit du romancé. Je sais synthétiser une documentation, l’intégrer, la diluer. Par exemple, dans Les assassins de l’aube, le personnage du flic homo, Amiel, qui souffre que son amoureux, Raphaël, n’assume pas leur relation par peur des réactions de sa famille, de son environnement, me permet d’aborder le thème de l’homophobie en Guadeloupe, aussi bien du côté des blancs catholiques traditionalistes, que des noirs virilistes.

Pour écrire ce livre, êtes-vous allé sur place ?

Oui, à deux reprises, à la fois pour des repérages et des vacances. Pour comprendre ce territoire, il faut se référer prioritairement à l’histoire de l’esclavage, avec ses strates. Mon livre n’est pas un guide de voyage, mais on peut l’emporter avec soi si on visite l’île.

« J’ai toujours écrit depuis que je suis gosse »

Comment toute votre aventure littéraire a-t-elle commencé ?

J’ai toujours écrit depuis que je suis gosse. Mais je m’étais promis d’écrire un « vrai » roman quand je serais maître de conférences à la faculté, après ma thèse. C’est à dire en 1993-1994. J’ai commencé par publier quelques titres dans de petites maisons d’édition locales, sans aucun écho. Puis il y a eu Omaha Crimes, en 2007, aux Éditions des Falaises (repris en 2014 aux Presses de la Cité sous le titre Gravé dans le sable). J’ai vendu 3 ou 4 000 exemplaires, remporté quelques petits prix. Ensuite, alors que mes manuscrits étaient refusés par plusieurs éditeurs parisiens (je ne dirai pas lesquels), c’est l’écrivain Yves Jacob, publié aux Presses de la Cité, qui a joué les go-between. J’ai donc publié mon premier roman aux Presses de la Cité, Nymphéas noirs, en 2011. Il a atteint les 10 000 exemplaires, remporté plusieurs prix, et est en cours d’adaptation au cinéma. Je co-écris le scénario… Mais le vrai décollage, ce fut en 2012, avec Un avion sans elle, qui demeure mon best-seller, avec environ 1,5 million d’exemplaires vendus, toutes éditions confondues. Ça m’a boosté !

Pourquoi avoir choisi le genre policier ?

C’est après avoir lu Un long dimanche de fiançailles, de Sébastien Japrisot, où l’histoire, la géographie, la psychologie et le polar se mêlent, que je me suis dit : c’est ça que je veux lire, c’est ça que je veux écrire…

Pourquoi ces nombreux titres tirés de chansons françaises : Un avion sans elle, Trois vies par semaine, Mon cœur a déménagé… Vous êtes fan ?

À l’origine, la chanson Comme un avion sans ailes figurait dans le roman. Après, c’est venu un peu tout seul. Ça sonne bien, et j’associe la chanson française au polar, dans la culture populaire. Le polar français n’a rien à envier au polar américain. Il en a repris les codes, depuis, disons, Les rivières pourpres, de Jean-Christophe Grangé (Albin Michel, 2000). Ça sonne américain, mais c’est un terroir, une atmosphère différents, français. Avec des ingrédients spécifiques : souvent un couple d’enquêteurs avec leurs problèmes, un tueur en série, une dimension géographique. En France, on aime rendre la littérature, élitiste ou populaire, qui est partout, un peu glamour.

« Je regrette un peu le temps de Simenon, qui sortait un livre tous les trois mois… Finalement, je vais peut-être le faire, sous pseudonyme ! »

Vous publiez, depuis 2011, à un rythme soutenu.

On peut dire que je suis un graphomane. J’écris tout le temps, plusieurs livres par an, pour adultes ou « young adults » et je ne les publie pas tous. Comme Amélie Nothomb (rires) ! Je suis trop vieux pour me contenter d’un livre tous les cinq ans, d’autant que j’ai maintenant tout mon temps pour écrire, 10 heures par jour, n’importe où, surtout dans les TGV… Je regrette un peu le temps de Simenon, qui sortait un livre tous les trois mois… Finalement, je vais peut-être le faire, sous pseudonyme !

Votre prochain ?

En 2025, mais je n’en dirai pas plus. Il faut garder un peu de mystère ! Mais j’ai plein plein de sujets en réserve.

À défaut du milieu littéraire parisien, vous fréquentez beaucoup le terrain.

Je suis un peu un « VRP de la littérature ». Je fais environ 10 salons par an. Et, chaque semaine, je vais dans une médiathèque ou une librairie : petite, indépendante, grande, hypermarché… Toujours mon côté géographe, je me suis fait une coupe transversale de la France qui lit, partout, à tout âge, dans tous les milieux, et dans tous les genres. En France, la littérature, l’auteur, le livre, demeurent sacralisés, et c’est très bien.

Vous êtes aussi engagé aux côtés du Secours populaire ?

En effet. Nous avons signé un contrat de partenariat depuis cinq-six ans avec leurs fédérations de Normandie et d’Île-de-France. 10 % de mes droits d’auteur leur sont reversés. Littérature populaire et Secours populaire, ça va bien ensemble, non ?

Michel Bussi, Les assassins de l’aube, Les Presses de la Cité, 408 p., 22,90 E, mise en vente le 10 octobre.

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