On ne présente plus Tom Wolfe, ses costumes impeccables, son sourire narquois et son savoir-faire. Ancien collaborateur du Washington Post, de Harper et d’Esquire, le natif de Richmond, Virginie, a marqué la presse par son regard mordant et ironique. L’auteur d’Acid test (Seuil 1975, repris en Points) et du Gauchisme de Park Avenue (Gallimard, 1972) a pris l’habitude de publier à la suite d’années de recherche de vastes romans polyphoniques qui s’inspirent du travail de Balzac et de Zola et plongent le lecteur dans un monde passé au crible, du sol au plafond.
Après Le bûcher des vanités (éditions Sylvie Messinger 1988, repris au Livre de poche) ou Un homme, un vrai (Robert Laffont 1999, repris en Pocket), Wolfe a cette fois choisi d’explorer de fond en comble une mégalopole américaine en pleine mutation. Direction Miami, « la seule ville au monde dont plus de la moitié des habitants » sont des immigrés de fraîche date, « autrement dit des cinquante dernières années ».
Le rideau s’ouvre sur « Ed » et « Mac ». Un couple de wasps en retard à un dîner dans un restaurant chic. Grand, mince et un peu dégingandé, ancien de Yale, Edward T. Topping IV est le rédacteur en chef du Miami Herald, quotidien où les licenciements vont bon train. Grande fille bien bâtie, son épouse, elle, est une ennemie de la paresse et de l’indolence. La caméra se tourne ensuite vers le très musclé agent Nestor Camacho.
Cubain de la deuxième génération, celui-ci a été gardien de la paix avant d’être promu à la Patrouille maritime. Nestor est le fils de Camilo et de Lourdes, arrivés jadis de La Havane à Key West après douze jours de navigation sur un canot rudimentaire. Nestor a une petite amie : Magdelena Otero, 24 ans, un diplôme d’infirmière et des cheveux qui ruissellent « en épaisses vagues soyeuses jusqu’à ses épaules ». Magdalena est employée par un psychiatre réputé, le docteur Lewis, pour qui le respect est « la clé du succès en ce bas monde », qui soigne des gens souffrant d’addiction à la pornographie.
Tout bascule dans la vie de Nestor Camacho lorsqu’il porte secours à un réfugié clandestin accroché à un mât de misaine de vingt mètres au-dessus de la baie de Biscayne. N’oublions pas de mentionner la participation de John Smith, jeune journaliste au visage poupin et au flair impressionnant. Celle de Sergueï Korolov, oligarque russe qui a fait don de tableaux d’une valeur de 70 millions de dollars au musée de la ville - des toiles de grands noms de la peinture moderniste russe du début du XXe siècle et dont une grande partie se sont révélées être des faux. Et Lantier, Haïtien et maître de conférences de français à l’université, dont la fille à la peau d’albâtre est bénévole au programme d’action sociale de South Beach. Tom Wolfe a du métier, une marque de fabrique. Ici encore, on retrouve sous sa plume un flot de détails, de mots en italique, d’onomatopées, de bruitages. Dans Bloody Miami, il force volontairement le trait, joue avec les clichés pour débusquer les vanités, en n’oubliant pas au passage de railler les ratés de l’immigration, le monde de l’art contemporain et le capitalisme galopant. Alexandre Fillon