4 septembre > Roman France

Parce qu’il est avocat, Thierry Illouz connaît parfaitement notre machine judiciaire, avec son cérémonial, ses lourdeurs, ses erreurs, mais aussi ses devoirs : dire le droit, condamner, au nom de l’intime conviction des jurés d’assises. Parce qu’il est aussi auteur de théâtre (sa pièce J’ai tout, publiée chez Buchet-Chastel en 2004, devrait être montée au Festival d’Avignon cet été), il a le sens de la dramaturgie, de la mise en scène.

Mais c’est avant tout en romancier qu’Illouz a imaginé le destin fracassé de Lucienne, l’héroïne de La nuit commencera, dont elle occupe tout l’espace. Une mère courage, une femme de modeste condition, résignée à son destin navrant : alors qu’elle était jeune vendeuse de chaussures, elle a été séduite par un salaud qui l’a mise enceinte et abandonnée, refusant même de recevoir plus tard leur fils, Sébastien, lorsqu’il a souhaité le connaître. Lucienne n’a jamais "refait sa vie", elle s’est sacrifiée pour son enfant, triste vendeuse de vêtements dans la boutique de Madame Renée. Sébastien, 23 ans, est un garçon fragile, immature, mais "un bon petit". Aussi ne peut-elle admettre qu’il vienne d’être condamné à treize ans de réclusion criminelle pour meurtre avec préméditation. Il semble qu’il ait été humilié, insulté par un homme, la victime, se soit rendu à son domicile et l’ait tué à coups de fusil. Durant son procès, apparemment équitable, et dont Lucienne a vécu chaque seconde comme un cauchemar, il n’a pas nié. Il a même avoué, il a tenté d’expliquer, maladroitement, avec ses mots à lui, comme s’il se trouvait dans une série policière.

Maintenant que Sébastien est en prison, Lucienne doit porter sa croix : même si les gens, comme sa patronne, se montrent plutôt compatissants avec elle, elle voit bien les regards différents, ceux qui l’évitent. Une sourde révolte monte en elle : "Ce n’est pas juste." Alors, cette femme soumise se transforme en mère colère, et parvient à avoir accès à la juge qui présidait le tribunal, celle qui a prononcé le verdict, afin de lui parler, de lui expliquer : "Mon fils est innocent. Ce sont les mères qui sont coupables." Ce qui est tout à fait illégal et ne modifiera en rien le cours des choses. Mais elle est soulagée, elle a fait son devoir jusqu’au bout, comme elle subira les treize années de visites et de parloir à venir.

Subtilement construit, à peu près entièrement en flash-back, le roman est centré sur Lucienne, qui revit le procès de Sébastien, ce qui s’y est dit (peu de choses, en fait), ce qui s’y est raconté (tristes circonstances, "atténuantes" mais pas "innocentantes"), mais surtout ce qui n’a pas été dévoilé : le malheur, la solitude, le poids de la culpabilité, le regard des autres, surtout dans une petite ville de province corsetée, sur une "mère célibataire" et son gamin pas tout à fait "comme les autres". C’est une belle réussite, qui appelle irrésistiblement le cinéma.

J.-C. P.

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