Voilà un livre qui se donne l'élégance de ne jamais passer pour ce qu'il est. Ou pour ce qu'il est aussi. Des mémoires, un traité de géographie, la trajectoire d'un enfant de ses siècles, de son temps. Il ne s'agit pas ici de présenter Olivier Rolin, ni de présenter la trentaine d'ouvrages qu'il a déjà signés (chiffre impressionnant, dont il s'amuse et s'afflige lui-même). Lui qui fit l'essentiel de sa carrière éditoriale au Seuil et parfois chez Verdier, le voici désormais chez Gallimard pour un livre qui a comme premier mérite de nous changer du « zim boum boum » ordinaire d'une rentrée littéraire romanesque. Pourtant, même s'il s'en défend, c'est bien un roman dont il s'agit : le sien et celui qui est si ardemment constitutif de son écriture. C'est-à-dire, si on l'a bien lu (et le livre lui-même est innervé par le souvenir des lectures fondatrices de l'auteur), de ses voyages.
Il ne nous apprend rien, Olivier Rolin, dans ce si beau Extérieur monde, rien que nous ne sachions ou pressentions déjà ; rien sur « la mélancolie des paquebots ». Il fait retour, voilà tout, il classe et déclasse, passe son doigt sur des atlas aux frontières parfois déjà oubliées. On y retrouve tous ces bouts du bout du monde qui le constituent. Voilà à l'appel du souvenir l'Argentine, les marches de ce qui s'appelait encore l'Union soviétique, les Amériques, l'Afrique de Rimbaud et les autres, le Japon. Et puis voici les chemins, les avions, les trains qui traversaient la nuit, les mers, les bateaux qui n'étaient pas de tourisme. Enfin, avant même qu'il ne recueille tout cela dans ses carnets qui ne le quittent jamais (car Rolin sait comme tout vrai écrivain que la littérature est d'abord affaire de regards et de souvenirs ; de carnets, donc), il y a les autres. Ces autres qui l'étaient si puissamment avant que notre monde ne se veuille global. Tel guide ici, la nuque inoubliable de la serveuse d'un bar là, tel ami qui s'en va et ne lira pas ses lignes. C'est un maelström de visages, de rencontres, dédié à la fugacité des jours et à demi-mot à celle des amours. Ici, le monde n'est pas désert, pas même le désert, comme chez Jouve. L'écrivain le ramène à nous dans toute la puissance parfaitement élégante de sa mélancolie. Que sont nos amis, les rires, les femmes, les morts devenus ? C'est toute la classe d'Olivier Rolin de parvenir à en faire des objets de littérature sans jamais les embaumer.
Extérieur monde
Gallimard
Tirage: 20 000 EX.
Prix: 20 euros ; 304 P.
ISBN: 9782072844942