Nouvelle-Calédonie

Médiathèques incendiées, librairies fragilisées... la chaîne du livre face aux émeutes en Nouvelle-Calédonie

BU de l'Université de Nouvelle-Calédonie - Photo Université de Nouvelle-Calédonie

Médiathèques incendiées, librairies fragilisées... la chaîne du livre face aux émeutes en Nouvelle-Calédonie

La Nouvelle-Calédonie est frappée depuis un mois par des émeutes. Face aux destructions, à la baisse du pouvoir d’achat et dans un climat toujours de haute tension, les acteurs du livre s’adaptent difficilement dans un territoire par ailleurs déjà fragilisé par la crise du Covid.

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Par Fanny Guyomard
Créé le 12.06.2024 à 12h09

Nouméa n’a plus de médiathèque. Les deux ont été incendiées. L’étincelle de départ a été le vote par l’Assemblée nationale d’un élargissement du corps électoral néo-calédonien, défavorisant les indépendantistes. Le lundi 13 mai, des émeutes ont éclaté dans l’archipel, et deux jours plus tard le président de la République Emmanuel Macron y décrétait l’état d’urgence. Un mois plus tard, le couvre-feu est encore en vigueur, au moins jusqu'au 17 juin.

Toujours des barrages

« Les supermarchés sont partis en fumée, comme nos ateliers municipaux avec tous nos véhicules. Si demain ça s'arrête, on est incapable de nettoyer la ville parce que nous n'avons plus les moyens ni le matériel pour le faire », déplorait le 19 mai au micro d’Europe 1 Sonia Lagarde, maire de la commune épicentre des émeutes.

 

Quid de la trentaine de bibliothèques de l’île ? « Certaines sont dégradées, d’autres n’ont pas repris service car il y a encore des barrages, des tirs… Les employés ne peuvent pas aller travailler, faute de possibilité de circuler, notamment dans la couronne de Nouméa. Toutes les structures de banlieue sont fermées, on est dans des zones de guerre », décrit Alice Pierre, directrice de la Maison du Livre de la Nouvelle-Calédonie (MLNC), qui regroupe l’ensemble des acteurs de l’écosystème du livre.

Confinement

Mais, malgré les dégradations, « il faut pouvoir lire et faire lire », défend Alice Pierre : « Avec les médiathécaires sans structure, nous allons essayer de faire un maximum d’actions sur le terrain… Mais c’est encore compliqué de sortir. Les gens sont choqués. »

Les bibliothèques de l’Université de Nouvelle-Calédonie ont été épargnées, car le campus est confiné. Sur son site internet, le message « Prenez soin de vous ! » rappelait le vocabulaire utilisé lors de la crise du Covid. D’ailleurs, l’équipe fonctionne de la même manière qu’il y a quatre ans, décrit son directeur Philippe Besnié : « Ceux qui sont partis avec leur ordinateur et disposent d’une connexion adéquate sont en télétravail. Nous avons pu nous adapter rapidement grâce à l’expérience de la crise sanitaire. Les ressources documentaires en ligne restent accessibles, même si durant la première quinzaine les usagers n’avaient pas forcément le temps et l’esprit disponible ». D'autant plus qu'un incendie a causé une fâcheuse panne de serveur.

Urgente sensibilisation aux infox

La bibliothèque universitaire a rouvert, mais avec des horaires adaptés au couvre-feu. « On travaille avec une équipe réduite, avec des cadres qui sont pour la plupart en centre-ville, donc pas soumis au blocage. Mais les personnels des quartiers nord et en brousse n’ont pas la possibilité de venir car des barrages se créent, les routes ne sont pas encore sécurisées », nous racontait Philippe Besnié il y a quelques jours.

En attendant, les bibliothécaires se mobilisent en ligne sur un sujet : la désinformation alarmante sur les réseaux sociaux. « Si Tik Tok a été suspendu, c’est surtout Facebook qui est utilisé en Nouvelle-Calédonie, y compris par les jeunes », souligne le directeur de la BU, qui a posté des ressources dans ce sens.

intérieur de la BU centrale de l'Université de Nouvelle-Calédonie
intérieur de la BU centrale de l'Université de Nouvelle-Calédonie- Photo UNIVERSITÉ DE NOUVELLE-CALÉDONIE

 

L’information circule plus difficilement du côté des bibliothèques municipales tandis les librairies souvent injoignables. Occupées à se réorganiser, à attendre des livres venant de l’Hexagone par bateau (compter trois à quatre mois de transport) ou par avion (quatre à cinq jours pour les urgences). Or, le port et l’aéroport ont longtemps été bloqués. « Il faut savoir que nous sommes un îlot francophone parmi les anglophones, nous sommes dépendants de l’Hexagone », contextualise Alice Pierre.

« Il y a fort à parier que nous allons perdre la moitié de nos librairies sur cette période »

Une librairie l’est moins : Calédo Livre, spécialisée dans les ouvrages néo-calédoniens, est ouverte. « Mais elle dit qu’elle risque de ne pas terminer l’année. Les librairies sont ouvertes de façon restreinte, c’est difficile de se déplacer et beaucoup de gens ont perdu leur emploi, donc acheter des livres n’est pas leur priorité. Il y a fort à parier que nous allons perdre la moitié de nos librairies sur cette période, déplore la directrice de la MLNC. Le Covid nous a mis en grande difficulté, mais on remontait la pente, avec de nouveaux projets, des commandes, on avait développé un festival scolaire de littérature… Et tout se casse la figure. »

Il faut aussi ajouter à cette chaîne les auteurs, les illustrateurs et les éditeurs. « Les éditeurs ne vont pas sortir de nouveaux titres, tout est à l’arrêt », poursuit Alice Pierre. Difficile dans ces conditions de tenir le salon du livre en octobre sans subventions. Interrogés sur leurs actions, ni le Chef de la mission aux affaires culturelles du Haut-Commissariat de la République en Nouvelle-Calédonie, ni la direction de la culture du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, pas plus que le ministère de la Culture ne nous ont répondu. Tout au plus pouvons-nous avancer que l’argent public cible pour le moment l’accès aux soins, aux vivres. Et dès que possible, la reconstruction.

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