Ce qu'il y a de bien avec les très grands écrivains une fois la reconnaissance obtenue (et surtout si celle-ci est passée entretemps par l'obtention d'un prix Nobel), c'est souvent leur magnifique liberté. Plus rien à prouver, juste à écrire encore puisque selon la célèbre réplique de Beckett, « bon[s] qu'à ça ». Parmi ces bienheureux, Mario Vargas Llosa n'est pas le moindre. Presque tous les romans publiés depuis son voyage à Stockholm en 2010 en témoignent. Et la publication de ces Temps sauvages ne fera que confirmer cette règle, avec un éclat peut-être plus grand encore. Le romancier péruvien y livre une sorte de thriller politico-historique basé sur des faits réels, dans la lignée de l'un de ses plus grands livres, La fête au bouc (Gallimard, 2002).
Guatemala, années 1950. Après des décennies de dictature militaire, le pays est gouverné par Juan José Arévalo puis surtout par Jacobo Árbenz Guzmán, des présidents démocratiquement élus et désireux d'introduire une vraie justice démocratique et sociale via notamment l'instauration d'une réforme agraire, juste et modérée, permettant de rendre les terres à ceux qui les cultivent, la forte majorité indienne de la population. En pleine guerre froide, cela n'est guère du goût des États-Unis qui considèrent alors tout le sous-continent comme une colonie qui ne dit pas son nom. Avec l'intervention de la CIA et l'aide des régimes dictatoriaux de la région, notamment la République dominicaine de l'effroyable Rafael Trujillo, l'expérience tournera court et Árbenz sera destitué en 1954 et remplacé par un homme de paille, Carlos Castillo Armas, qui sera lui-même assassiné trois ans plus tard.
Que l'on ne s'y trompe toutefois pas : Temps sauvages n'est pas un manuel d'histoire, mais bel et bien une vraie fresque romanesque, traversée d'ombres, de complots et de trahisons et de grandes figures féminines parmi lesquelles la plus évidemment séduisante est la surnommée Miss Guatemala, maîtresse de Castillo Armas avant de devenir, en exil, la voix radiophonique des séides de Trujillo. Vargas Llosa donne ici libre cours, jusque parfois dans un érotisme cru bien assumé, à sa passion pour les personnages féminins. Mais aussi bien sûr, à celle pour les soubresauts tragiques et grotesques de l'histoire politique de son continent à l'heure de ce qui fut son enfance et sa jeunesse. Il y a du Shakespeare là-dedans et donc, une infinie liberté, celle d'un conteur toujours au faîte de son art.
Temps sauvages Traduit de l'espagnol (Pérou) par Albert Bensoussan et Daniel Lefort
Gallimard
Tirage: 30 000 ex.
Prix: 23 € ; 400 p.
ISBN: 9782072903861