Les plaies ouvertes. On lui a toujours dit qu'elle ressemblait à son père, l'écrivain Roger Nimier, décédé au volant de son Aston Martin quand elle avait 5 ans − « même front haut, même bouche, c'était frappant ». Mais avec les années, Marie Nimier est devenue « le portrait tout craché » de sa mère, auquel elle consacre en cette rentrée d'hiver un livre aussi fort et poignant que La reine du silence (Gallimard), évocation sensible des souvenirs légués par son père pour laquelle elle avait reçu, en 2004, le prix Médicis. Portrait d'une relation mère-fille que l'écrivaine ne peut qualifier de « normale » (mais « c'est quoi une relation normale entre une mère et une fille, est-ce que ça existe ? »), Le côté obscur de la reine s'articule autour d'un secret, niché dans l'enfance de l'autrice, et des « mensonges cache-misère » avec lesquels sa mère a toute sa vie composé. Cette femme d'exception, entourée « d'amants originaux » et « d'amies talentueuses », publicitaire élevant seule ses trois enfants dans une société encore conservatrice, le lecteur la rencontre rue Jean-Mermoz, dans le 8e arrondissement parisien, où elle vécut avec Roger Nimier. Érigée sur les vestiges de leur « grantamour », la mythologie familiale abrite une double absence : celle du père, qui dépose son épouse sur le point d'accoucher à l'hôpital, puis disparaît ; celle de la mère, qui confie son bébé aux bons soins d'une nourrice bretonne pour aller se reposer au bord du lac Léman. « Est-ce que ça se faisait à l'époque, est-ce que c'était normal d'abandonner son nouveau-né pendant un mois, [...] pour se remettre de l'accouchement ? »
La mythologie tissée de toutes pièces par la mère s'effrite sous la plume de sa fille, à l'image de l'appartement vétuste où elle a grandi, dont des écailles de peinture « tombent dans les assiettes quand le voisin rentre chez lui ». Dépouillés de leur lustre factice, les fragments rassemblés dans ce livre rétablissent la vérité des êtres, grâces et fêlures comprises, préservent leur souvenir, viennent au secours de leur mémoire quand la mémoire leur fait défaut. « Tant qu'il y aura des plaies ouvertes, il y aura de la vie, résume magnifiquement Marie Nimier, voilà ce qu'il faut entendre - je le comprends à mesure que j'écris. Qu'elle soit réelle ou imaginaire, la blessure, ou le récit de la blessure, par ses suintements, empêche la mort d'advenir, et l'histoire de se refermer. »
Le côté obscur de la reine
Mercure de France
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 264 p.
ISBN: 9782715265103