Les fantômes de Capri. Ils sont partis. Sans très bien savoir vers quoi, sans se l'être peut-être vraiment dit. Un couple en rupture de ban avec le quotidien, avec un réel qu'ils ne peuvent s'empêcher de suspecter d'être fallacieux. Lui vient de Suède, elle de Paris, ils ont fait de la musique ensemble, et puis un enfant. Et puis... Et puis, les voilà donc partis. Vers le sud. Naples d'abord et enfin Capri où rien n'est jamais tout à fait fini, où les morts se jouent des vivants, organisent d'étranges bacchanales dans la villa Lysis du baron Jacques d'Adelswärd-Fersen, et y convient les deux voyageurs égarés, outre de grandes figures artistiques et défuntes italienne, le chanteur Caruso ou la poétesse Ada Negri. Les fantômes du passé sont-ils vraiment si doux ? Qu'importe puisque, comme l'écrit la jeune femme française qui doit savoir que toujours le mort saisit le vif : « Je me demande si nous faisons nous aussi partie d'un monde perdu : celui des esprits qui tourbillonnent, sans trouver le repos. Capri nous recueille tels des naufragés, elle ne nous juge pas. Peu lui importe si nous sommes morts ou vivants. La ballade des esprits. Nous sommes les secrets qu'on ne révèle jamais. »
En fait de secrets, ceux de la nuit, de l'épuisement, de la solitude, mais aussi d'un réenchantement toujours possible, ce serait assez l'affaire de Marie Modiano. Avec L'île intérieure, son quatrième roman (le premier chez Robert Laffont), fantaisie noire et gracieuse en baie de Naples, elle offre son art poétique, infiniment abouti. Bien sûr, c'est une version contemporaine du Songe d'une nuit d'été dont il est question en ces pages. Mais que le lecteur ne se laisse pas abuser pour autant, l'exercice de style est infiniment profond et livre peut-être le texte le plus clairement personnel de l'autrice. Ici, elle est, on le devine, au plus près de sa vérité. Au plus près de son goût pour ces tremblés du réel qui fondent son univers. Il y a là une indécision fructueuse, un dialogue entre poésie et conduite du récit, un sens du coq-à-l'âne qui voisine avec le surréalisme et plus sûrement encore avec les romans du trop oublié aujourd'hui André Pieyre de Mandiargues. On sait de qui Marie Modiano est la fille, on découvre que la famille est plus grande que prévu.
L'île intérieure
Robert Laffont
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 18 € ; 180 p.
ISBN: 9782221268124