Maria pleine de grâce

Maria Pourchet - Photo © Jean-Baptiste Millot

Maria pleine de grâce

Avec son deuxième roman, récit violemment ironique de la désintégration d’un couple, Maria Pourchet confirme l’étendue de ses dons. Portrait d’une sociologue réinventée en romancière fervente.

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Par Olivier Mony
avec Créé le 17.10.2013 à 18h49

L’histoire est assez simple. D’abord, Maria Pourchet s’est un peu ennuyée. C’était l’enfance, c’était de son âge. Puis elle a beaucoup lu. Et relu aussi, puisqu’on ne lui autorisait qu’un livre par semaine et qu’une première lecture ne lui demandait souvent pas plus d’un jour… Dans le même temps, elle a bien travaillé. Les bons élèves sont parfois des fugitifs en puissance : ses diplômes la mèneront d’ici à là-bas et, plus précisément, d’Epinal à Paris en passant par Metz et Saint-Etienne. Donc, comme elle avait bien lu et bien vécu, Maria s’est enfin mise à écrire. Un vieux professeur, rencontré des années après la fin de ses études dans un magasin de meubles, lui avait prédit qu’elle serait écrivaine. Elle n’a voulu ni le, ni se décevoir. Alors, aujourd’hui, elle a 33 ans, le culot de ne même pas les faire et dit des choses comme : « J’aurai besoin d’écrire toute ma vie juste pour me sentir bien. » En douze mois, elle vient de publier deux romans. Ils sont formidables. Drôles et tout encombrés de solitudes urbaines, de liens défaits et d’oppression familiale. Le fond de l’air y est doux-amer comme dans les premiers livres de Jean-Philippe Toussaint ou ceux de Christian Oster.

Prenons le dernier. Ce Rome en un jour qui, comme de bien entendu, se déroule à Paris, « pendant l’horreur d’une profonde nuit ». C’est l’histoire de Paul et de Marguerite, et d’une dizaine d’autres personnages réunis sur le toit d’un hôtel parisien, à l’initiative de Marguerite, pour fêter Paul sans que celui-ci soit au courant. Seulement voilà, Marguerite a l’art du contretemps, et Paul celui de décourager les meilleures volontés. En l’occurrence, l’un souhaite regarder un match de rugby à la télévision et l’autre s’exaspère, froisse sa robe et dresse imprudemment des bilans. A l’autre bout de Paris, les attendant puis plus vraiment, des gens qui n’ont rien à voir les uns avec les autres ne manquent pas une occasion de se le voir confirmer. Seulement, sur un malentendu, un trait d’esprit, un coup de fatigue, quelque chose peut advenir, quelque chose qui pourrait ressembler à une rencontre… Et le livre d’aller ainsi gaiement, à chaque chapitre, de Paul et Marguerite aux amis, de l’appartement à l’hôtel, de catastrophes en désastres.

Le goût des autres.

Les personnages, voilà le beau souci de Maria Pourchet. Elle les aime beaucoup, leur passe tout, leur offre à chacun une voix et promet de n’en avoir pas fini avec eux. Ce goût des autres lui vient de ses lectures, bien sûr ; et d’abord de la découverte, un soir d’internat à Epinal, de l’œuvre de Romain Gary. Elle dit être restée dans cet éblouissement-là, celui des Enchanteurs, prolongé plus tard par le premier livre d’Echenoz, Le méridien de Greenwich, puis toute « l’écurie » Minuit, Oster, Serena, La salle de bain de Toussaint. Aujourd’hui, malgré Michon, Ferrari ou Enard, elle dit moins lire que relire, Aymé, Perec ou Giono, cachée dans son appartement parisien ou cette maison du Lot quelque part entre Cahors et Cajarc où elle se voit bien un jour déménager définitivement son petit théâtre de la cruauté et de l’ironie.

Il y a en effet chez Maria Pourchet un assez fascinant conflit dialectique entre le visible et l’invisible, entre une croyance inconditionnelle dans le pouvoir de la littérature et la fréquentation de ce qui peut l’abaisser, la restreindre. Brillante sociologue, elle est titulaire d’une thèse de doctorat intitulée « Face et envers des écrans de la littérature (1950-2007). Archéologie d’un monde du discours : images, acteurs et publics de télévision », après la réalisation d’un documentaire pour France 2 sur une histoire du livre à la télévision. Selon elle, « faire une thèse permet d’être cachée. Faire celle-là m’a permis de vérifier que la télévision a épuisé la figure sociale de l’écrivain. Pour le reste, l’obscénité en littérature ne se situe pas là. Ce serait plutôt de souscrire en toute connaissance de cause à un argument marketing. Et de piller les tombes, faire son miel de la souffrance des proches ». De toute façon, elle a besoin de la sociologie. Pour vivre comme pour écrire. « Je n’aurais rien à écrire si je n’étais sociologue. » Elle dit que ses histoires vont tourner longtemps encore autour de la famille. Elle semble savoir ce qu’elle veut. Et mieux, ce qu’elle va faire. Rattraper le temps perdu, « ces trente ans de schizophrénie où je voulais écrire et ne le faisais pas ». Nous, ses lecteurs, on ne demande pas mieux.

Olivier Mony

Rome en un jour, Maria Pourchet, Gallimard, 16,90 euros, 180 p., ISBN : 978-2-07-014216-3. Sortie : 5 septembre.

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